Personne ne m’empêchera pas de penser que le neuvième long métrage de Jean-Pierre Melville a un goût d’inachevé : il manque quelque chose. Quelque chose d’essentiel. Lorsque je vois la tendance générale des internautes, je me dis que je vais me faire envoyer sur les roses, et vous auriez sans doute raison. Mais essayez d’imaginer le même film… avec des dialogues de Michel Audiard… Ah oui, hein ? De suite ça le fait davantage ! Pourtant ce n’est pas mal écrit, loin de là. Mais les dialogues de José Giovanni sont parfois inégaux. Oh ! je ne dis pas que "Le deuxième souffle" n’est pas bien, surtout pendant la première heure durant laquelle on retrouve tous les codes du polar noir. Mais je n’ai pu m’empêcher de penser aux bons mots de Michel Audiard. Nous avons toutefois quelques bonnes banderilles verbales, notamment à travers Paul Meurisse à qui on a prêté un humour caustique, notamment lors de sa première intervention :
en tant qu’inspecteur Blot, le voir se foutre crânement de la gueule des truands est
un grand moment de cinéma. Malgré un scénario relativement classique, Melville nous amène dans le monde des truands, un monde où la confiance ne se gagne pas en un claquement de doigts, où la trahison est sévèrement punie, où le langage corporel (les positionnements, les regards échangés souvent sans aucune équivoque remplaçant avantageusement toute réplique), et où le maniement d’armes est pour ainsi dire naturel, si naturel qu’on pose parfois les flingues comme on pose les clés sur le premier meuble venu quand on rentre chez soi. Si Meurisse nous régale dans un premier temps, le duo Constantin/Ventura prend un temps le dessus, bien que le regretté Michel n’apparaisse finalement qu’assez peu. C’est dommage, parce qu’il dégage une présence folle, toujours droit dans ses bottes, quelles que soient les circonstances ! D’ailleurs peu de répliques lui ont été attribuées, et c’est dans la gestuelle qu’on voit que la paire qu’il forme avec Lino fonctionne le mieux. Le tableau n’aurait pas été complet sans la présence de la très belle Christine Fabrega : telle une femme du monde aux jambes joliment gainées de bas-couture, elle apporte du charme, voire même un certain glamour. Sans compter qu’on aime se perdre dans la couleur claire de ses yeux, en dépit d’un regard souvent inexpressif. A croire dans ces moments-là qu'elle n’a d’yeux que pour la fameuse ligne bleue des Vosges, point imaginaire à fixer utilisé au théâtre pour garder la tête droite. Je vous l’ai dit : tous les codes du polar noir sont là, ce qui rend le film assez prévisible. A plusieurs reprises, j’ai senti venir la scène suivante. Seulement Melville n’a pas fait les choses simplement : il y a mêlé une pointe de dramaturgie, m’évoquant de façon succincte dans sa trame "La métamorphose des cloportes" que j’ai découvert récemment. Le rythme est lent, souvent sans musique, mais cette lenteur est maîtrisée pour la rendre hypnotique par une mise en scène soignée et un cadrage millimétré de tous les instants. De plus, la mise en images est d’une qualité rare pour un film en noir et blanc, avec de superbes contrastes obtenus par un éclairage lui aussi maîtrisé. C’est ainsi que nous suivons tout au long de ces 143 minutes sans véritable ennui tous ces acteurs d’une étonnante sobriété car ils n’en font jamais trop, même si on commence à sentir que ça fait un peu long sur la fin.