La traduction française retenue pour le titre détourne de façon malheureuse la thématique principale du long métrage et essentielle au cinéma de Ridley Scott : ce dernier relit Christophe Colomb à la lumière de la Bible, soucieux d’en faire le héraut et le rédacteur d’un nouveau récit de Création qui prolonge, remotive et réitère l’ancien comme le « nouveau monde » se corrompt aussitôt qu’il est pensé ainsi, selon une relation de renaissance qui n’est, en réalité, que reproduction des fléaux de l’« ancien monde ». La reine de Castille parle à terme d’un « désastre », soit littéralement la chute de l’astre qui servait de guide au navigateur et à son équipage ; Colomb lui oppose, non sans cynisme, l’« accomplissement » en l’attribuant à la monarchie traditionnelle qui couronne une noblesse imbue d’elle-même et ignore les explorateurs véritables. C’est que lui se situe du côté de la création : il a contribué à l’érection de citadelles et de cité, a œuvré pour la modernité, quoiqu’en agissant ainsi il ait déclenché malgré lui le chaos. Le cinéaste nourrit son film d’une tension permanente entre création et destruction, l’une n’allant pas sans l’autre, et investit la découverte de l’Amérique comme la « conquête du Paradis » qui conduira à son saccage, c’est-à-dire au saccage de l’idée de paradis, au saccage d’un idéal. Il s’approprie donc, avec l’aide de sa scénariste Roselyne Bosch, l’essai fondamental de Mircea Eliade, Le Mythe de l’éternel retour, publié en 1949. Une fois débarqué et intégré, Colomb déclare à ses hommes : « je crois que nous avons retrouvé le jardin d’Éden » ; ces propos se ternissent à mesure que la réalité climatique et anthropologique prend le pas sur l’émerveillement initial : la cupidité grandit, l’exploitation des peuples colonisés se généralise. L’Éden rejoue la Chute, symbolisée par la morsure du serpent qui cause la mort d’un membre de l’équipage. Ridley Scott compose un parcours de désillusion qui doit ramener l’homme à sa bestialité primitive : la terre promise n’apparaît que derrière un voile de brouillard, écran sur lequel les Européens projettent leurs fantasmes teintés de christianisme. Leur apparence physique les transforme d’ailleurs en dieux aux yeux des autochtones : ce statut n’aura qu’un temps. Colomb prétendait vouloir aller « par-delà les horizons » : il ne réussit qu’à ressentir davantage le plafond de verre contre lequel se heurtent l’humain et sa condition. Lui détracteur de la torture, le voilà assis à contempler un étranglement, pris au piège de ses contradictions. Porté par la partition superbe et emphatique de Vangelis, mis en scène avec éclat et ralentis à foison pour mimer et extérioriser l’enthousiasme des colons, 1492: Conquest of Paradise représente la quête d’un idéal collectif et étatique qui n’est, en fin de compte, qu’un leurre reproduisant l’ordre monarchique établi, ses inégalités, sa cruauté. Ridley Scott compose un Christophe Colomb divinement inspiré, moins par Dieu que par lui-même, soucieux de fonder « un nouveau monde dont personne ne veut, sinon [lui] ». Il trouve en Gérard Depardieu l’acteur qu’il lui fallait.