C'est au milieu d'un ciel bleu parsemé de nuage qu'il nous apparaît tout d'abord, comme d'habitude. Puis, la musique se lance, partition à l'image du film : gothique, déviante, lancinante ; et tout s'assombrit. Une couleur noire s'empare de l'écran, embrassant le "W" du logo bien connu. Les flocons se mettent à se déverser, à tomber par milliers, dans la nuit, sous la lueur de la lune. Changement de plan, la caméra se hisse soudain au dessus d'un grand portail, ignorant les barreaux repoussant et nonobstant la vue de cet antre sans doute fermé. Toujours dans le noir, se dessine un grand manoir. Une fenêtre immense, où la lumière se libère de l'intérieur. Un cri résonne, soudain, terrifiant, dans une autre pièce, encore. Un homme sort, le visage halluciné, terrifié, mouchoir à la main. Un docteur, sans doute. Car c'est un cri de bébé qui retentit, cette fois. Un nouveau-né. Un petit poupon. Un poupon cassé. Plus tard, un homme et une femme fixent tous deux leur enfant. Ils se désolent, sans parler, de celui-ci. Celui qu'ils ont mis au monde, et qu'ils s'apprêtent à abandonner. L'on perçoit, quelques secondes, un peu de l'enfant. Nageoires en guises de mains boudinées, et silhouette assombrie par le noir de la cage où il demeure enfermé. Là, la musique se relance, au dessus d'un petit ponton, où coule en dessous une petite rivière à l'eau glacée. A la surface, un landau noir tombe, éclaboussant de partout avec de multiples flocons d'eau. C'est le Pingouin qui naît, à ce moment là. Pendant que s'écrivent les premières lettres du générique, sur les murs des égouts où il se fait emporter se dessinent de partout la silhouette du landau. Trente-trois hivers plus tard, les silhouettes demeurent, à Gotham. Elles s'inscrivent, déviantes, tourbillonnantes, sur les murs de la ville. Les ombres de mystère se projettent sur le parterre des rues glauques et peu sûres. L'inconnu rôde, fantomatique, dans la pénombre menaçante. Le danger demeure, les crimes pullulent, dans la nuit noire, sous la lueur de la lune... Pour ce film magnifique, et sans doute l'un de ses meilleurs, Burton, sous la couverture du simple divertissement qu'il fait mine de réaliser, se montre travaillé par des désirs d'extravagances, des fantasmes tourmentés. Il façonne un Gotham à son image, étrange, mystérieux. Parmi les grattes ciels, il invente un cimetière vieillot, tombales pullulantes envahis par un long manteau blanc. Il montre un Batman effacé, plus seul et méditant que jamais, se tenant debout dans la pénombre. Il l'accompagne par d'autres animaux : une femme chat, Catwoman (Michelle Pfeiffer, extraordinaire) et un homme pingouin, (Danny De Vito). Une ménagerie de cirque que l'on regarde se "chamailler" - en quelques sortes - avec immense plaisir. La folie cartoonesque du truc n'empêche nullement à Burton de se faire plus psychologue, parfois. Tel un Dickens très inspiré, il s'en va puiser les fêlures des personnages, au plus profond des souvenirs d'enfance. Il y a toujours cette ironie sur le sujet, chez lui : ressors-t-elle, ici, de la plus flagrante des manières. Tout les personnages semblent atteint d'un désir d'amusement, d'aventure, tout droit sorti des contes que l'on nous racontaient enfants. Tous, partagés entre les idées concrètes de la désillusion du monde, et les rêves de notre jeunesse. Exemple flagrant : Selina Kyle, et sa maison de poupée qu'elle brisera en deux, et noircira à la bombe, marquant finalement la perte de son innocence et de sa naïveté, donc de sa transformation en Catwoman, personnage torturé, malade et sexué. Et il y a le Pingouin, bien sûr, avec son enfance volée, brisée. Avec ses désirs de réinsertion dans le monde de "là-haut", dit-il, doublée d'une folie douteuse, il se fera voeu d'enlever et d'assassiner tous les enfants de la ville dans leur sommeil. Mélancolique, nostalgique et ambiguë, cette vision là fait de ce film l'un des plus aboutis de Burton. D'une certaine façon, également, l’un des plus riches, les plus fouillés et peut être l’un des plus drôles, aussi... Hormis son extravagance fellinienne, le cinéaste fait preuve d'un étonnant sens de l'humour et du second degré, et parfois, ici et là, donne à son Batman des airs de satire politique....Délire halluciné ? Hymne aux rêves ? Méditation mélancolique et psychologique sur l’enfance ? Satire politique ? Conte macabre ? Simple divertissement, peut-être...Batman Returns est sans doute tout cela à la fois. Mais Burton ne réussi finalement rien de mieux que de filmer ces défis, ces duels, entre tous les personnages, comme s'ils étaient des animaux enfermés dans des cages, une ménagerie étrange où l'instinct animal de l'être deviendrait son seul et unique état. Tout ce principe de mise en scène donne un côté théâtrale au film, mais qui n'efface jamais la noirceur du propos et sa mélancolie mystérieuse. Parce que c'est ce Tim Burton là qu'on aime. Le poète macabre. Le créateur délirant. Le fou. 18/20.