5sur5 C'était le temps ou Burton refusait d'intégrer des gimmicks poussifs (Robin en l’occurrence - les producteurs s'en remettront à Schumacher) et de transiger sur son autonomie artistique. Le succès de Batman lui ayant permis de confectionner comme il l'entendait son si personnel (mais à l'aura et aux charmes contestables) Edward aux mains d'argent, Burton a pris goût à la liberté et sait désormais parfaitement canaliser son imaginaire. Il va alors réaliser ce qui demeurera l'un de ses meilleurs films avec Ed Wood et Mars Attacks ! (aujourd'hui, après Alice au pays des merveilles, il semble que ce tryptique soit indétrônable - mais, sait-on jamais...).
Moins bancal que le premier Batman (ce qui ne le rendait pas moins jouissif et, déjà, bluffant sur le plan plastique comme pour la prestation de Nicholson), ou le kitsch l'emportait sur la profondeur psychique des personnages, Batman Returns voit Burton atteindre une symbiose presque absolue avec le matériau cinématographique, en lui appliquant plus habilement que jamais l'emprunte de ses rêves. L'esthétique burtonienne est subjuguée par les influences expressionnistes, déjà en vigueur dans le premier Batman, mais poussées ici à leur plus haut degré. Un tantinet gothique naturellement, le film est aussi ludique, avec les gadgets du Pingouin, arguments majeurs pour constituer un film-culte. Massif et ténébreux, ce second volet de la saga marque probablement le paroxysme burtonien ; c'est un peu son Lost Highway à lui.
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Car parmi ce qui compose, de manière générale, le pessimisme de la vision de Burton, il y a d'abord ce mépris des masses. La foule de Gotham City est stupide, manipulable et uniforme, elle n'a aucun caractère ; c'est comme un cadeau aux fascismes de toutes natures. Comme dans Edward, les êtres sont souvent normés avant même d'être des individus, et ces êtres, de menace en eux-mêmes dans le film précédent, ne sont désormais plus que des outils. Ce qui ne les rend pas moins dangereux, mais surtout plus lamentables et insignifiants encore.
Thème central des Batman burtonien, la manipulation publique, autrefois exercée par un Joker séducteur, l'est maintenant par un Oswald le Pingouin horripilant. Criard, obscène, répugnant, il a tout pour repousser son auditoire ; mais c'est un orateur délirant, un tyran en puissance. Il exalte les passions de ses sujets pour livrer son propre combat. Le public dans le réel du film est conquis, parce qu'il est toujours en quête d'un messie improbable et charismatique. La difformité du Pingouin, elle, reste un handicap. Pour le spectateur, sa monstruosité attire et la détresse, qu'il met en scène ou qu'il maquille, est touchante.
Burton expose ici une vérité profonde ; l'artiste est un dictateur putassier. C'est autrement moins fade que l'idéal de l'artiste-humanitaire qu'était Edward ; ici, l'artiste est agressif et non plus passif. C'est ce qui le rend fascinant et attractif, plutôt que simplement attachant et d'une virginité exemplaire. Burton sort de ses névroses qui lui ont fait élaborer un produit somme toute aussi consensuel que Edward aux mains d'argent, pour exhiber le dessein qu'il se figure pour le Monde entier.
Bien que considéré comme une pierre angulaire des films de super-héros aujourd'hui (quoique le film n'incarne aucun courant, ne renvoyant qu'au meilleur de Burton), Batman Returns est assez chahuté à sa sortie en 1992. Les critiques sont très tranchées et le public modéré (bilan financier très décevant). Les studios souhaiteront une suite moins sombre, moins mature, moins déroutante et confieront le second tiers de la saga à Joel Schumacher qui en fera une farce légère, peut-être un peu trop, au défaut de scénario évident et aux dialogues indigents. Et c'est sans compter sur une mythologie totalement écorchée et ramenée aux exigences de bases du blockbuster : tandem malicieux, humour lobotomisé, action effrénée, style et registre éprouvés. Il faudra attendre Nolan pour que la chauve-souris masquée retrouve grandeur et ambition.
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