Le bien contre le mal, pas vraiment. Si Rocco est un saint et Simone le diable alors oui, le bien et le mal, mais celui du monde d'avant, celui des chrétiens. Ici rien du Christ, de ses actes et paroles mais l'Eglise, son omerta, sa volonté d'assujettir le peuple, de lui inculquer des règles et normes arbitraires pour asseoir son contrôle et son pouvoir. Aussi, de le diviser de pans entiers de l'humanité pour mieux régner.
Rocco parce qu'il ne peut faire de mal à une mouche mais surtout parce qu'il ne peut se défaire des traditions portant les liens du sang au dessus de tout, pardonnera tout. Pardonner tout pour des actes commis contre soi même est sans doute de la sainteté, une réussite christique mais pardonner tout pour des actes commis contre autrui sans s'enquérir de l'oppressé est a minima de la lâcheté. Nadia, martyre de ce film, n'est pourtant pas réductible à un destin de victime. Bien au contraire, c'est par son indépendance d'esprit, de corps, par sa liberté en somme, qu'elle resplendit. Elle incarne le monde humaniste, celui de l'émancipation morale, la foi en son propre coeur, en sa propre raison et donc où le doute est partout et ainsi l'absolu, le fascisme, nulle part. C'est le monde de demain comme le croit Ciro, le frère auquel on se raccroche pour nous sortir de ce cloaque familial. Mais alors que Ciro énonce ce monde qui vient, la sirène d'usine retentit pour rappeler les travailleurs à l'aliénation. Tel un avertissement elle nous dit ô combien il faudra se battre pour faire et parfaire un tel monde.
Rocco à tout prix tient à ses racines, à une identité. Il veut rentrer au pays, être toujours avec ses frères et sa mère, c'est un homme bon mais qui refuse de vivre la beauté d'une personne, Nadia, car sa bonté s'exerce dans le respect de traditions qui s'opposent à cet amour. La famille de sang, sacrée, encore et toujours elle. La sclérose de Rocco, sa manière réactionnaire de voir le monde, lui fera tout perdre, la femme qu'il aime et sa liberté, autant dire que les deux se confondent. Se croyant christique il n'est en réalité que le pur, pour ne pas dire le pire, produit de l'Eglise. En choisissant le respect aveugle de valeurs qui contrecarrent à sa sensibilité, à son amour, Rocco perd tout sens moral et devient le bras armé du mal : Simone, le déraciné qui ne trouvera pas sa nouvelle vie et qui sombrera dans un total nihilisme. Simone est le chaos, Ciro le renouveau, Rocco le statu quo. En somme ils sont la Trinité divine hindoue: Simone est Shiva, il a détruit Vishnou, c'est à dire Rocco qui laisse place à Brahmā, Ciro. Et puis, autour d'eux, la plus importante, Nadia, si proche de Jésus car elle incarne tout, elle est la plus humaine de tous.
L'enfer est pavé de bonnes intentions paraît-il, ces bonnes intentions doivent être celles de ne jamais questionner notre monde et de préférer appliquer avec dévotions les règles inculquées, pour ne faire nulle peine à nos aînés. Mais à ne pas vouloir peiner les anciens et leurs certitudes, on perd tout libre arbitre et donc la seule chose qui vaille de vivre, la quête perpétuelle de soi et de nos semblables. Une quête qui crée de la beauté et nous ouvre les portes du sens et donc du bonheur. Si perdre de vue cette quête pour le monde fait intervenir Brahmā-Ciro pour le sauver, dans notre vie, Simone-Shiva armé de sa faux et peut-être d'un jeu d'échecs viendra la sceller. Alors écoutons notre cœur, restons éveillés.