Acteur de comédies légères pour la MGM depuis 1928, Robert Montgomery délaisse occasionnellement le studio pour obtenir des rôles plus consistants. De retour de la guerre en 1945, il tourne sous la direction de John Ford "Les sacrifiés" avec John Wayne. Sur le tournage, John Ford malade, il le remplace à la réalisation. Cette expérience ne sera pas sans lendemain. Décidé à réaliser son propre film, il convainc la MGM de se procurer les droits de "La dame du lac", une nouvelle de Raymond Chandler parue en 1943. L'écrivain qui a déjà écrit quelques scénarios, notamment celui de "Double indemnity" de Billy Wilder (1944) est sollicité par Robert Montgomery. Les 195 pages que le romancier fournit sont jugées médiocres et c'est Steve Fisher, lui aussi écrivain de romans noirs qui s'y colle. L'histoire plutôt classique du genre noir, très en vogue en ce milieu des années 1940, vaut surtout pour le traitement qu'en propose Robert Montgomery. L'acteur devenu réalisateur s'inspirant d'une tentative de Delmer Daves pour "Dark Passage" (1946), prend le parti de pousser à son paroxysme le style littéraire de Raymond Chandler qui veut que son célèbre détective, Philip Marlowe, soit le propre narrateur de l'enquête qu'il mène. C'est donc le procédé de la caméra subjective qui sera adopté pour la totalité du film après une courte introduction imposée par la MGM à Montgomery tournée face caméra pour impliquer le spectateur dans la résolution de l'enquête à venir. Ainsi, Philip Marlowe, s'il s'exprime très vertement et de manière autoritaire comme à son habitude, n'apparait jamais à l'écran autrement que lorsque son image se reflète dans un miroir. Un pari osé qui demande dès lors beaucoup aux partenaires de Robert Montgomery devant donner le change en exprimant explicitement leurs réactions face aux réparties souvent cinglantes de Marlowe. A ce jeu-là, il faut reconnaitre qu'Audrey Totter fait merveille. Sous contrat à la MGM depuis 1945, l'actrice tournera une trentaine de films durant son contrat de sept ans sans jamais accéder aux premiers rôles malgré un talent évident doublé d'un sex appeal ravageur. A partir de 1953, elle se consacrera à la télévision. Ici âgée de trente ans, elle déploie tout son talent, tour à tour femme fatale, femme d'affaires vipérine, amoureuse éperdue ou midinette naïve selon les humeurs très changeantes de Marlowe qui la rudoie avec un plaisir évident. C'est incontestablement la très bonne surprise du film qui peut faire penser que la MGM n'a pas su exploiter son talent qui aurait certainement été plus adapté au style de la Warner ou de la RKO. Dans la longue listes des privés de l'écran (Philip Marlowe, Lew Harper, Sam Spade, Tony Rome,...) interprétés par des acteurs aussi célèbres qu'Humphrey Bogart, Paul Newman, Frank Sinatra, Robert Mitchum ou Elliot Gould , Robert Montgomery figure donc en bonne place sans jamais apparaître à l'écran. Une prouesse qui mérite d'être saluée tellement la concurrence était relevée.