Le scénario de La Cinquième Colonne repose sur un thème mainte fois utilisé et éprouvé dans l’œuvre d’Hitchcock, celui du faux coupable, du jeune homme injustement accusé d’un crime odieux, recherché et poursuivi par tous y compris la police, et qui fera tout pour attraper les véritables coupables, se disculper et faire éclater la vérité au grand jour. Cet angle de départ se mêle rapidement à une intrigue d’espionnage hanté par le spectre de la seconde guerre mondiale, avec pour toile de fond la guerre de l’armement entre les États-Unis et l’Allemagne nazie.
Malgré un début un peumal construit et une preuve contre le héro peu crédible, l’aventure ne tarde pas à s’emballer et se révèle rapidement pleine de rebondissements. Sorte de road movie avant l’heure, elle emportera le personnage principal dans un voyage-enquête ponctué de rencontres amicales ou ennemies et de séquences d’action. La relation entre les deux protagonistes, entre méfiance et attirance, complicité et taquinerie, ne manque pas d’intérêt.
Les acteurs sont bons quoiqu’inégaux, et la jeune femme, tout en volonté, courage et charme discret, ainsi que les méchants, inquiétants et retors à souhaits, éclipsent parfois un héro peu charismatique.
On note aussi une grande inventivité dans les situations de toutes sortes, comme lorsque
l’enfant dévoile les lettres compromettante de l’espion
, ou que
notre héro trouve refuge chez un vieil aveugle et sa nièce et qu’il tente de dissimuler ses menottes
, ou encore le
jeu de communication et d’intimidation par titres de livres interposés
ou le
plan du pistolet surgissant de derrière le rideau
, évocateur des deux versions de l’homme qui en savait trop.
Le film n’est pas sans présenter une certaine part de subversion, d’une part à travers les petites doses d’humour classiques chez le maître et parfois évocatrices sur le plan sexuel, d’autre part avec l’idée du
camion de freaks, avec nain, siamoises et femme à barbe, êtres imparfaits mais bons qui se révèleront au final plus utiles au héro que les policiers et leur normalité
.
Sur un plan plus formel, Hitchcock, déjà sûr de son langage cinématographique expérimente dans ce film des raccords brillants, comme celui où une émission de radio et un message de SOS servent de fils conducteurs et unificateurs entre plusieurs plans et scènes, plusieurs lieux et individus, et ne se prive pas d’user presque à outrance de l’une de ses figures classiques, les inserts de journaux, lettres et autres détails servant l’intrigue et remplaçant la parole.
Mais le scénario manque souvent de clarté et pèche par excès de manichéisme, présentant une vision de l’espionnage en temps de guerre proche de la propagande. Il n’arrive pas non plus rendre son sujet vraiment pertinent, car peut être trop court. Le récit ne décolle pas trop, ou plutôt se crashe lentement à partir de sa seconde moitié nettement moins captivante que la première. Les scènes s’enchaînent parfois mal, et l’on perd un peu le fil des événements. Enfin, la musique peut être trop envahissante noie les dialogues plus qu’elle ne les sert.
Restent cependant une scène de bal brillamment menée, modèle raffinement et de tension mêlées, une formidable
course poursuite avec échange de coups de feu dans un cinéma où l’action réelle se confond à celle du film projeté devant l’incompréhension des spectateurs
, ainsi qu’un final vertigineux prémonitoire de celui de la Mort Aux Trousses, relèvent le niveau général du film, et le confirment comme une œuvre formatrices et solide sinon majeure dans la filmographie du maître.