Ce qu'il y a de plus exceptionnel dans les films de Krzysztof Kieslowski, ce sont peut-être les actrices. Juliette Binoche dans Bleu, Julie Delpy dans Rouge, mais surtout, avant toutes, Irène Jacob. Impossible de ne pas oublier la splendide (les splendides, devrions-nous dire) Véronique, mais aussi Valentine de Rouge. Son personnage, Valentine, est certainement le plus pur aussi de tous les films de Kieslowski : belle, fraîche, spontanée et gracieuse, elle est quasiment une allégorie de la vie (comme Julie ou Karol, elle ne peut mourir, on le voit dans l'extravagante scène finale). Chez elle, tout est spontané. On le ressent dans les dialogues : "-Et si j'avais écrasé votre fille, ça vous ferait le même effet ?", "Je ne veux rien. - Vous n'avez qu'à arrêter de respirer". Son interlocuteur ? Un vieux bougon de juge, l'admirable Jean-Louis Trintignant.
Valentine est une femme dans l'action, elle aime le mouvement et le rapport à autrui : sans répit du matin au soir, entre deux séances photos et deux défilés, elle aime montrer son corps, débordant de vie et d'enthousiasme. Mais inconsciemment, elle est lassée de cette vie micro-réglée. Certes, elle nage voluptueusement dans le succès, mais elle s'ennuie, même si elle ne s'en aperçoit pas. Elle s'arrête le soir dans sa voiture, mélancolique. Sa vie sentimentale est agitée, sa famille est fragile. Elle perd sa confiance en elle, cette confiance qui était pourtant toute sa force. Entourée d'hommes (Jacques le photographe, Michel le jaloux, son frère etc.), c'est pourtant du plus vieux et du plus étrange qu'elle se rapprochera le plus. Car il est bien inquiétant, ce vieux juge, à espionner ses voisins. On l'avait vu dans Le Décalogue, les voyeurs de Kieslowski sont inoffensifs. Par ailleurs, à y réfléchir, la vie du juge n'est pas moins insensée que celle de Valentine.
La fraternité : c'est le troisième terme de la devise. Fraternité, car les habitants de ce quartier suisse sont liés entre eux malgré eux grâce au juge espion. Cette affaire a même des conséquences : une météorologiste abandonne son copain le jeune juge pour le photographe. Il se trouve que ce jeune juriste a exactement la même vie que Trintignant, les deux devenant des juges hors-la-loi (l'un entre en infraction chez les gens, l'autre les espionne). Mais ils sont guidés non pas par la méchanceté, mais presque par ennui ou désespoir. Leur seul remède ? D'aller vers les autres.
Dans la trilogie des trois couleurs, ce sont des accidents qui changent les autres dans leurs rapports : l'accident de voiture de Bleu, celui avec le chien dans Rouge, et même dans Blanc, le divorce constitue un accident. Kieslowski étudie la réaction de plusieurs personnages face à un événement minime : une vieille dame qui a du mal à mettre sa bouteille dans la poubelle pour verres. Julie est impuissante à l'aider, Karol le peut mais ne le fait pas, Valentine le fait spontanément. Cette action est sans doute ce qui résume tout ce qu'a pu dire la Trilogie sur le caractère des êtres.