L’idée est formidable : à partir d’une tête réduite et momifiée glissée à son insu dans ses bagages, un étudiant en médecine va tout faire pour rendre une identité à ce morceau de corps. Il va se sentir dépositaire. En bruit de fond, on assiste à des discussions entre diplomates, et dès le début du film, au récit de la conférence de Yalta par un témoin qui y a assisté. Cette tête vient de Russie : un mercenaire qui travaille pour les services secrets français, fait sortir du bloc de l’Est, des chercheurs russes de renom. Au milieu de ça, il y a une sorte de Tintin, un enquêteur malgré lui, et on le suit poursuivre sa quête jusqu’au marge de sa santé mentale. Le personnage de Emmanuel Salinger, le futur médecin légiste, est un héros plutôt faible de caractère. La tonalité du film épouse sa nonchalance triste, lui qui est tourné vers la morbidité et pas vers les plaisirs de la vie : il est d’ailleurs sans doute vierge, jusque sa rencontre avec une étudiante en histoire de l’art, qui bizarrement n’apparaît plus à l’écran après qu’ils aient couché ensemble. C’est un personnage faible entouré de personnages forts. Il se fait molesté, et les coups qu’il reçoit, la colère qu’il encaisse, donnent l’impression moins d’une violence, que le désir d’un brusque réveil : il est comme un somnambule qui traverse le film avec l’obstination d’un projet absurde et fou. On peut dire que tout est absurde dans le film, au sens, où tout ce qu’il lui arrive, pourrait ne pas arriver, il n’y aurait pas de film, mais il lui suffirait de se débarrasser de ce vestige pour que tout soit normal. Ce qui est passionnant c’est mêler l’histoire d’un quidam, à tout le poids de l’Histoire : cette tête est à la fois le vide, l’oubli, et la nécessaire pièce à conviction qui justifie l’existence du passé, et donc de la réalité elle-même.