Sur les planches massives d'un sol accueillant, éclairée par la lumière aveuglante d'un soleil électrique, elle marche. Elle cherche. Se cherche. Elle n'a pas de nom, pas d'âge et pourtant elle est là, présente au monde. Face au regard informe, d'un noir magmatique, la scrutant de ses mille yeux elle avance, comme à tâtons. Sous ses pas les planches sont autant le fil de son équilibre que la rampe de sa mémoire. Etre et avoir été. Non loin de là, derrière un voile ne demandant qu'à préserver la profondeur d'une énergie, d'une émotion il guette : c'est à son tour d'être, maintenant. Sa tête mélange les vaisselles dans les eaux troubles de sa conscience, tandis que les voix célestes murmurent un chant confortable, rassurant, guidant ses jambes et ses bras, comme en creux. Face à ses yeux rouges et sa bouche déformée par le trac, l'alcool ou tout autre chose il attend d'exister. Il n'a pas oublié les mots mais son coeur lutte : il n'y peut rien mais ne doit pas. Il le sait désormais. Mais alors que le cratère impersonnel du volcan ténébreux se pend dans cet instant complexe, émerveillé par ce silence radieux mais chargé de secrets donnant sens au tableau le fil glisse d'une paire à l'autre, puis la rampe d'elle à lui. Intimement les planches se dérobent, le soleil s'éteint, suivi des chants célestins. Tout à coup le tableau se change en un tourbillon de gestes, d'attentes et de découpes. Les cris, les larmes et le son fou du rire des innocents sont seuls maîtres à bord. L'oeil noir, lui, ne dit mot. Consent. A deux ils sont capables de tout, puisqu'il s'est passé quelque chose. Ils sont là. La nuit peut commencer.