L’ouverture du Festival de Cannes 1992 fut marquante car une actrice monta les marches en étant peu connue et les descendit en étant une star. Cette actrice était Sharon Stone et le film Basic instinct. En effet, après avoir utilisé la violence pour s’exprimer dans Robocop et Total recall, Paul Verhoeven se sert de la sexualité, qui était une marque importante de sa filmographie néerlandaise, et transforme son actrice principale en sex-symbol.
Effectivement, Verhoeven filme la sexualité comme cela n’avait jamais été fait dans un film hollywoodien à potentiel commercial élevé (l’acteur principal est tout de même Michael Douglas). Ceux qui avaient pu être émoustillés avec Liaison fatale prirent une véritable claque avec Basic instinct. Dès la première scène, Paul Verhoeven offre une véritable scène érotique où l’on voit des personnages faire l’amour avant que la femme poignarde violemment l’homme. Dans la scène suivante, Verhoeven ose même filmer le sexe du cadavre d’assez près. Les scènes dénudées et de reproduction sexuelle seront par la suite nombreuses et très réalistes pour un film hollywoodien (le cinéma européen, lui, allait déjà régulièrement beaucoup plus loin)
, la plus mythique restant la séquence de l’interrogatoire au commissariat où Sharon Stone prouve un gros plan qu’elle ne porte pas de culotte lors du plus célèbre croisement de jambe de l’histoire du cinéma
. Verhoeven ose évoquer l’homosexualité masculine
(Johnny Boz est l’amant du maire d’après les rumeurs)
et surtout féminine
puisque Catherine Tramell est très clairement bisexuelle et que ce sont surtout ses liaisons avec des femmes qui semblent être ses véritables histoires d’amour (celle avec Hazel Dobkins mais surtout celle avec Roxy, qui est prête à tuer par jalousie, et peut-être sa mystérieuse relation avec Lisa Hobermann)
.
Mais résumer Basic instinct à un simple film érotique serait ridicule car le sexe sert ici à faire avancer la passionnante intrigue policière qui est le véritable intérêt du film. En effet, Verhoeven multiplie les indices pouvant faire privilégier une piste ou une autre jusqu’au dernier plan. On peut s’interroger tout au long du film sur la réelle coupable
: Catherine Tramell (elle est suffisamment manipulatrice et trouble pour en être capable ; elle n’hésite pas à fumer et à narguer les policiers lors de son interrogatoire ; les morts violentes semblent un peu trop s’accumuler autour d’elle et ses romans décrivent souvent précisément des morts qui arriveront quelques temps plus tard comme celle de Gus), Roxy (qui a déjà trucidé ses frères et qui est capable de recommencer à tuer par jalousie), le docteur Garner (Gus dit d’elle : "Putain, quand elle a un mec, elle, c’est pour la vie !" ; certains de ses regards peuvent laisser supposer une part d’ombre assez fortes ; elle est capable de prévoir mot pour mot ce que répondra Catherine ; elle ne révèle pas aussitôt qu’elle a eu une liaison avec cette dernière et elle a peut-être eu un comportement obsessionnel à ce moment-là ; son mari est mort assassiné ; elle partage son cabinet avec le psychiatre de Johnny Boz ; elle a rencontré ce même Johnny Boz à une soirée…) ou bien y a-t-il une complicité entre plusieurs personnages afin de brouiller les pistes (une théorie non exploitée mais peut-être possible) ?
Ainsi, malgré un dernier plan assez explicite, on sort du film en continuant à s’interroger sur chaque hypothèse et sans être sûr de la réalité, un peu comme cela était le cas avec Total recall. De plus, la force de Verhoeven vient du fait qu’il n’applique pas un traitement trouble qu’envers les suspects mais pour tous les personnages. Ainsi, le héros principal possède également une forte part d’ombre
dû à son passé d’alcoolique qui est sans doute la cause de bavures mortelles qu’il a faites par le passé et qui semble avoir menti sur les conditions de ces dernières (notamment en passant au détecteur de mensonges). On apprend également au fur et à mesure que Nilsen est au courant de choses qu’il n’a pas révélées
. Ils mentent tous plus ou moins. Quand ce n’est pas le cas, ils ne sont pas pour autant lisses. Même Gus, qui est pourtant peut-être le personnage le plus sympathique, a des tendances alcoolique et est capable de tenir des propos racistes pour déculpabiliser son collègue : "On en a bien trop de ses putains de touristes qui polluent notre pays ! Tous ses putains d’envahisseurs, faudrait les renvoyer d’où ils viennent !" (ironique de la part d’un cinéaste qui est également un étranger).
Ses personnages, tous brillamment interprétés, et cet excellent scénario de Joe Eszterhas sont renforcés par l’envoutante musique de Jerry Goldsmith et par la brillante réalisation de Paul Verhoeven maniant parfaitement le suspense (le cinéaste considère d’ailleurs cette œuvre comme étant son film hitchcockien) et créant avec son directeur de la photo, Jan de Bont, de magnifiques mouvements de caméras d’une grande fluidité.
Avec Basic instinct, Paul Verhoeven signe donc un magnifique polar plein d’ambigüité, de sexe et de suspense qui, grâce à son fort succès commercial, lancera la mode des thrillers érotiques (Sliver toujours avec Sharon Stone, Body avec Madonna ou Color of night avec Bruce Willis et Jane March) qui n’arriveront jamais à l’égaler malgré quelques rares très bons films (J.F. partagerait appartement de Barbet Schroeder ou Sexcrimes de John McNaughton).