Le regard que porte Steven Spielberg sur l’enfance rend compte, dans ses films, d’une certaine forme de poésie du niais, une poésie qui se heurte à la niaiserie dans ce qu’elle a de plus primaire, de plus primitif. Ainsi, grand-mère Wendy apparaît dans l’escalier sous les rayons bleus d’une lumière nocturne, Clochette déclare sa flamme à Peter en indiquant qu’ils se retrouveront dans cette zone intermédiaire entre le sommeil et le réveil, pendant ces quelques instants où l’on se souvient du monde imaginaire dans lequel on était plongé. De tels moments de grâce tant visuels que dramatiques sont pourtant juxtaposés à des éléments gras, lourds et régressifs : des batailles de nourriture, des concours de grossièretés, des blagues entre Crochet et Mouche. Par cette rencontre improbable, Steven Spielberg propose ainsi une poétique du conte qui refuse de penser la matière de l’enfance à partir de préjugés adultes. Non, la seule façon de retourner au pays imaginaire, c’est de renoncer non pas à l’intelligence – les enfants trouvés sont futés – mais au raisonnable, à ce qui relève de l’apprentissage et de la formation progressive d’une raison. Tout est permis, et Spielberg s’en donne à cœur joie, se souciant peu de la réception dont profitera ou non son ambition auprès du public. Car il est rare – et donc précieux – de s’immerger dans une vision de l’enfance tenue hors des sentiers battus, une vision qui engendre moult décors fabuleux, moult prouesses techniques, bref de la magie. Le cinéaste a compris le pouvoir figuratif et esthétique du conte, celui qui attrape le lecteur ou l’auditeur pour le convier au voyage : poussière de fée, duels à l’épée, cascades, roulades et cabrioles, le petit monde de Peter Pan est une zone de jeu et une terre d’exil pour un père et ses enfants sur le point de se désagréger les uns des autres. L’attachement que manifeste Spielberg à la famille comme unité nécessaire (et nécessaire unité) est bien connu ; dès lors, les aventures vécues équivalent à une mise à l’épreuve des rôles et des sentiments de chacun pour, à terme, aboutir à une refonte de l’identité familiale autour de valeurs communes et, surtout, d’un droit à l’enfance respecté et partagé. L’essentiel pour l’adulte est de se raccorder à cette imagination perdue ou troquée contre des théories mathématiques et financières : en grandissant, Peter est devenu un pirate, comme le dit si bien Wendy. Il s’agit donc de retrouver et de réemprunter les chemins de l’imaginaire dans l’espoir de comprendre ses enfants et de se comprendre enfant. Enfant orphelin, qui offre à l’adulte des clefs pour comprendre qui il est, enfant adulte puisque l’imagination ne dispose pas de date de péremption. Hook s’entoure d’acteurs parfaits dans leur rôle et compose une symphonie enchanteresse injustement mésestimée, portée en outre par la partition musicale magistrale de John Williams. Un très grand film visuellement époustouflant – le travail de la photographie signé Dean Cundey est virtuose – et qui réserve quelques scènes bouleversantes. On s’envole !