King Kong de 1933, monument parmi les monuments chez les cinéphiles, mérite-t-il sa réputation de chef-d'œuvre indémodable ? Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce ne sont pas tant l'animation en volume et la surimpression qui ont mal vieilli – même si leur appréciation requiert une remise en contexte –, mais la position sexiste et coloniale adoptée.
L'unique personnage féminin fait office de McGuffin, de marionnette gémissante. Ann Darrow représente le portrait fragile et criard des femmes de l'époque, complètement inapproprié de nos jours.
Le peuple indigène, de son côté, peut être mis en parallèle avec les Amérindiens : c'est un peuple que l'équipe de tournage vient déranger, en plein milieu d'un rituel, et qui montre de la méfiance à l'égard des colons. Les limites de cette représentation, jusque-là correcte, se trouvent dans la capture de la jeune actrice, qu'ils donnent ensuite en sacrifice à Kong, action venant renforcer la propagande coloniale, fruit d'une diabolisation aliénante des cultures indigènes.
En revanche, King Kong illustre bien la surenchère cinématographique dans laquelle commençait déjà à tomber les studios de l'époque. Non contents de bénéficier du cinéma parlant, les producteurs cherchent, en raison de leur logique capitaliste, à toujours voir plus grand, plus démesuré, plus sensationnel. C'est pourquoi le projet, pour une équipe de tournage, de se rendre sur une île habitée par des créatures préhistoriques constitue, pour eux, une manne.
Mais c'est davantage vers le singe géant, cette "8e merveille du monde", que se tournent le réalisateur. Après avoir débarqué sur une terre préhistorique, abattu un stégosaure, et troublé un peuple autochtone, voilà que l'équipe se met en tête de capturer Kong, afin de l’exhiber aux sphères bourgeoises. Pour ce faire, ils l'endorment, le délogent de son île, et l'enchaînent autour d'une croix dans un théâtre. La force de la nature devient alors une bête de foire, conséquence de la rapacité humaine, et d'une fascination pour l'exotisme.
Sans surprise, la recherche du spectaculaire s'enraye : l'esclave tente d'échapper au joug de ses geôliers, mais, dans sa fuite apeurée, endommage, piétine, et tue, offrant le prétexte idéal, aux chasseurs de liberté, pour l'abattre, par rafales d'avions, du haut du très vertical Empire State Building.