Compte tenu de l’envergure intellectuelle du personnage, le cinéma de Pasolini est le plus souvent loin d’être évident à aborder aujourd’hui mais de manière plus criante que dans la plus accessible “Trilogie de la vie�, ‘Porcherie’ reste marqué par son austérité absconse et son militantisme intellectualisant. Si certaines des problématiques qu’il exprime résonnent toujours dans l’actualité, ce n’est plus de la même façon et, surtout, elles ne se traduiraient plus dans un langage verbal et cinématographique que plus grand monde n’est aujourd’hui en mesure de saisir sans avoir en mains les clés de compréhension nécessaires. Schématiquement, deux types de séquences coexistent au sein de ‘Porcherie’ : d’un côté, un brigand du Moyen âge égaré dans le désert, prend goût au cannibalisme. De l’autre, de riches industriels allemands manoeuvrent pour absorber l’entreprise de leur rival : l’un compte exploiter le passé nazi de son adversaire mais il ignore que celui-ci dispose d’une arme morale plus destructrice encore. Pour le spadassin médiéval, ces débordements sont le produit d’un monde sans dieu, dominé par la satisfaction des pulsions personnelles ; pour les seconds, d’un monde sans humanisme, sans cause à défendre, dominé par la prédation capitaliste. On peut même y ajouter, pour la seconde partie, le jugement sévère du cinéaste qui ne voit dans le Miracle économique allemand sous les auspices bienveillants du libéralisme économique, qu’une continuation du Reich sous une forme plus policée. Tout au long de sa vie, c’est l’angoisse d’un monde “vide�, ici présent dans l’idée du désert, dont les marchands et les banquiers auraient chassé la pensée, la morale et l’art, qui a tourmenté Pasolini. C’est à ce titre qu’il recourt à la figure métaphorique du porc, dévoreur sans nuances ni morale. La porcherie de l’industriel Klotz, située dans une aile de son immense palais et qui dissimule les amours interdites de son rejeton, en est une autre : sous les dorures et les oeuvres d’art des temps révolus, bientôt, ne subsisteront plus que des porcs. Pasolini attribuait au cinéma un pouvoir énorme : il n’empêche que ce qu’avait à exprimer ce film froid et indigeste, dont l’aura de subversion est aujourd’hui de l’histoire ancienne, m’aurait sans doute plus convaincu si je l’avais lu dans un livre.