‘La Fièvre au corps’ est un polar sensuel magistral qui vaut pour son environnement particulièrement tendu étant donné la dangerosité des jeux auxquels les personnages principaux jouent à savoir Ned Racine et Matty Walker (William Hurt et Kathleen Turner forment un couple du tonnerre à l’écran). L’un est un avocat coureur de jupons mais pas aussi audacieux, lucide et sûr de lui qu’il ne le croit face à une femme infidèle dont le mari très riche est en plus de cela très jaloux ! Cette dernière est une grande dame, classe, rebelle, joueuse en apparence mais en réalité absolument manipulatrice quand on découvre son côté sombre. Peu d’interprétations d’actrices font froid dans le dos mais celle de Turner est ici à mettre dans les anales : sa désinvolture, son charisme, son autorité, sa force et la conviction qu’elle met pour persuader les autres qu’elle est faible, c’est un jeu comme on n’en voit peu dans le monde du cinéma et elle a encore plus de mérite puisqu’il s’agit de son premier rôle qui lui confère par ailleurs une reconnaissance internationale. Dommage que ce succès se soit poursuivi uniquement pendant la décennie 80 car depuis 89 et ‘La Guerre des Rose’ plus rien ne lui est proposé. Quant à William Hurt, il a une assurance dans sa Corvette décapotable rouge c’est certain, d’un autre côté les faiblesses de son personnages en permanence rabaissé par rapport à Mme Walker (différence de niveaux de vie, d’éducation, d’attitudes) sont aussi un régale... Mais revenons au film. Les relations des deux amants sont ce qu’il y a de plus intéressants : l’animosité à la limite de la psychopathologie et les rencontres bestiales des premiers jours commencent peu à peu à se transformer en amour (réciproque ? Cela reste à voir). Film noir par excellence, tous les codes du genre sont effectivement là : des accusations exclusivement dirigées vers le protagoniste de l’histoire, un fatalisme certain de la part de ce dernier, la jalousie soudaine de sa conquête après son infidélité… Et aussi et surtout une ambiance de polar comme on les aime. Cette ambiance générale lourde est évoquée tout au long du film. L’insistance sans répit des deux personnages concernant la chaleur insoutenable renforce l’aspect torride existant dans les relations entre Matty et Ned. Notons également que Ned est prévenu réellement dès le début quand depuis sa chambre il aperçoit un incendie, signe prémonitoire de danger… Côté musique, John Barry est très à l’aise avec des titres tantôt jazzy (au départ, c’est la séduction) tantôt stressante (par la suite, c’est la nervosité, la peur, le doute… Des thèmes assurément hitchcockiens). Aussi, Bob Seger se joint à l’affaire avec ‘Feel like a number’ sur lequel Mickey Rourke fait son dur, une double apparition très appréciable au passage ! Les années 40 et 50 qui ont accueilli ce genre si précis sont à l’honneur. Plus qu’une inspiration classique, c’est un hommage voire un surpassement par moments ! Qui est le génial créateur ? Lawrence Kasdan (réal et scénariste), en plein dans la vague ‘Star Wars’ depuis 80 et en état de grâce cette année 1981 en raison de la sortie et des critiques dithyrambiques à l’égard de ‘Indiana Jones’ premier du nom. Grâce à son génie, le scénario est calibré au millimètre et prend une ampleur considérable au fur et à mesure : simple conquête, Matty fait entrer Ned dans son jeu afin qu’il assassine son mari puisqu’ils sont unis sous la séparation des biens (leur union s’avère factice et l’antipathie du mari –joué par Richard Crenna- se trouve ainsi amplifiée). Les proportions que l’affaire prend sont juste énormes mais ce scénario révèle encore bien d’autres surprises par la suite et notamment la spirale infernale dans laquelle se trouve Ned. En effet, celui-ci devra faire face à des démêlés judiciaires (un comble pour un avocat modeste mais honnête). En gros, les rôles sont inversés : le prédateur devient la proie et la prédatrice est finalement à l’œuvre et ce avec tous les pouvoirs qu’elle désirait acquérir. Alors que l’on croit le récit terminé une fois que le meurtre a lieu et après une heure, les fameuses surprises et révélations apparaissent progressivement. Par exemple, Mary Ann la demi-sœur de Matty comme elle nous est présentée (Kim Zimmer) semble bien décidée à récupérer sa part de l’héritage laissé par le défun mari… Bref, le troisième acte est encore plus intense en péripéties. Bref, une mise en scène peu spectaculaire mais très réaliste, un suspense qui va crescendo, une relation sulfureuse (puis toxique et machiavélique), tout est présent pour faire un bon film. Plus, il dépasse voire même surclasse les autres thrillers de l’année 81. Chef d’œuvre peu connu du cinéma hollywoodien, premier film de Turner et de Kasdan (et oui ! Aussi impressionnant que cela puisse paraître !), ‘La Fièvre au corps’ est à faire découvrir au plus grand nombre. Une morale donc : mieux vaut se méfier quand la folie engendre bien des problèmes dans un monde où règne la raison…