Avant les troubles personnels et le délitement de sa filmographie, aujourd'hui quelque peu en berne, Roman Polanski a été un brillant cinéaste. Rosemary's Baby témoigne parfaitement de la finesse qu'il a parfois pu atteindre. Il offre en effet là un film unique, film d'horreur où le sang ne coule pas et où les frissons sont rares, mais qui atteint un niveau de malsainité inégalable. L'horreur est amenée par l'histoire d'une "madame tout le monde", qui en aménageant dans un nouvel appartement, rencontre des voisins inquiétants. Se met alors en place un jeu permanent entre Polanski et son spectateur, et le premier, qui se refuse au directivisme, laisse le choix au second d'adopter l'hypothèse de la folie ou celle du complot. Et le réalisateur témoigne en cela d'une maîtrise incroyable, suggérant sans arrêt, montrant beaucoup moins, donnant une très vive sensibilité du hors-cadre. Polanski se refuse également à plonger dans un univers trop sombre, sans doute pour ne pas écarter l'hypothèse d'une plongée dans la démence chez Rosemary, mais la normalité apparente de l'univers est comme démentie par des accents trop prononcés dans les vêtements des personnages, leurs attitudes et les décors, rendant le tout par moments criard et empreint d'étrangeté. L'équilibre est parfait et l'indécision demeure. Pourtant, malgré cet univers soft pour le genre, le génie de la mise en scène parvient à générer quelques frayeurs, même en plein jour au sein d'une cabine téléphonique entourée de passants. Dès la visite de l'appartement d'ailleurs, ce génie saute aux yeux, Polanski donnant une belle image d'oppression et de présence extérieure par des plans entourant sans cesse les personnages, ne les lâchant pas d'une semelle, ou plutôt ne s'éloignant que pour se rapprocher brusquement. A la manière d'un Panic Room, voire dans une moindre mesure d'un Shallow Grave, la maison devient plus qu'un cadre, quasiment un personnage à part entière. L'ambiance est fascinante, mystérieuse, opaque. La narration à la première personne renforce aussi le mystère, seul le point de vue de Rosemary étant donné. Bref tout témoigne d'une subtilité assez incroyable, et le résultat est pour le moins probant. Moins glauque qu'un Angel Heart mais pourtant tout aussi malsain, Rosemary's baby est en fait un chef-d'oeuvre du film d'épouvante, qui n'a pas pris une ride 46 ans après sa sortie. Créatif, osé et inquiétant.