Une oeuvre culte et considérable. Ce que Roman Polanski réalisa avec peu de moyens sur " Répulsion ", il le cultive pleinement ici: psychologie fragile d'une femme esseulée, visions cauchemardesques, appartement menaçant et morbide, cohabitation avec l'autre confinant à l'insupportable, bonheur vite brisé, puis, peut-être retrouvé.
Ce qui frappe, entre autres choses, est précisément l'ambiguïté inexplicable de l'espace, de l'esthétique et des protagonistes. Rien n'est vraiment doux, en particulier quand tout semble l'être dans le film: musique sous forme de comptine, appartement repeint de façon plus lumineuse, gentillesse apparente des voisins, etc. L'inquiétude et le trouble grandissent dans le film à mesure que tout s'arrange. Un monde lisse et aseptisé est loin d'être " dénué " de noirceur, voire d'obscurantisme, nous souffle ainsi le cinéaste. Et le vieux manoir choisi pour le film, au coeur d'une ville de verre aussi moderne que New-York, raconte déjà al peur primitive au centre de la civilisation dite moderne, au-delà de la lourde histoire de cet immeuble. Comme un micro-corps étranger dans une entité plus grande.
Polanski cherche à chaque instant à surprendre, détourner, nous révéler notre perception du réel et donc ici aussi du cinéma en parfait iconoclaste. Polanski cherche à briser notre lot de connaissances pré-établies et souvent fort prédéterminées. Si, en ce sens, le long-métrage impressionne, il ne faut pas oublier l'importance cruciale des sons et de la musique. On pourrait longuement étudier les éternels sons des voisins, les notes de piano résonnant dans l'immeuble, les cloches, etc. Mais le film semble surtout marqué par cette dernière collaboration entre Polanski et Komeda, dont la partition écrite est nourrie d'une grande profondeur, à tel point qu'il se construit plusieurs fois en écho répété, annonçant la partition de Jerry Goldsmith pour " Alien ". C'est au fond cette musique qui raconte de manière invisible mais pourtant bien physiquement ressentie, l'écho d'un ventre résonant et monstrueux, l'infinie mise en abyme d'une ville et d'un immeuble à tiroirs, de protagonistes à arrière-pensées, d'un monde replié sur lui-même et rempli de cavités, de couloirs, de cages et de labyrinthes. La réalité s'inscrit décidément dans un irréel et interminable assemblage de pièces, de cases, de cabines, puzzle terrible d'une civilisation désenchantée.