" - Elle va s'endormir et moi je serai seul ! "
Les Amants du Pont-Neuf est une constante dans mes rendez-vous, à chaque fois, il me semble l'aimer davantage. Il est certain qu'il est mon film de Leos Carax préféré, celui que je connais le mieux mais qui reste toutefois, j'insiste, celui qui me sera toujours comme étant le plus beau, si imparfaitement beau ... Pourtant, il y'a du sordide, ces premières minutes ne nous épargne pas ses tronches et corps ravagés, par des excès de vie et de mort, l'un ne va pas ici sans l'autre.
On entre à toute vitesse dans ses rues de Paris. A bord d'un véhicule qui fuse, auprès de ses deux corps, en premier à distance, effleuré pour l'une par le bolide, percuté pour l'autre par ce dernier. La ganache éraflé, la cheville brisé par l'accident ne le touche néanmoins pas vraiment, sa douleur est endormit, pour cette insomniaque chronique, que seul la buvette et les cachets soignent. Le pas n'est pas aussi saccadé chez elle que pour lui, elle chancelle sous un poids, plus lourd encore. En atteste, cet œil bandé, par ce pansement proéminent qui ne l'empêche pas de constater ce type sur la chaussé, qu'elle pense raide mort avant de s'enfuir. Il ne l'est pas encore, ramassé par cet autocar de laissé pour compte, il traine sa carcasse à la force de ceux qui le porte, comme ils et elles le peuvent ...
De ce refuge, on ne retiens que les coups, la crasse, la nuit qui se termine. Son jour n'est pas aussi chargé. Il ne reluit pas pour autant. Il soigne les blessures, avec quelques promesses auquel on ne croit pas trop, par manque d'envie, par gout et habitude de cette vie-ci ...
Le retour au Pont, domicile du sans abri, des retrouvailles avec ce compagnon, à première vue violent, peu avenant, avant de changer complètement pose le jalon d'un lieu ou le passage est interdit, hormis pour les habitués. L'arrivée de cette femme, est vu comme une menace par le plus vieux, comme une étrangeté pour le plus jeune. Un second jeu d'observation entre celui-ci et cette dernière s'opère. Cette fois, c'est elle qui est au plus près du sol, et lui qui la découvre dans l'obscurité du soir. La peinture qu'elle a faite de lui nous apparait, à lui comme à nous, à cet instant, la fascination nous contamine avec. Les présentations se font, dans la violence de Hans, qui lui indique la sortie, puis entre Alex et cette dernière, Michelle, lorsque celui-ci manigance un repêchage. C'est dans sa faiblesse qu'il découvre sa vie qu'elle fuit, son malheur. Sa vue qui met les voiles, tout comme l'amour qu'elle porte à un autre, ayans mis les amarres également.
S'ensuit un autre concours. Il et elle se courent après, dans l'ignorance l'un de l'autre, avant de s'afficher pleinement. La scène ou Alex va travailler, ou il crache son feu dans sa chorégraphie sous son regard à elle est d'ailleurs magnifique. Le film l'est de bout en bout, mais j'aime particulièrement ce moment. La débauche d'énergie qu'elle dévoile dans le métro, lorsqu'elle entend la musique de celui qu'elle sait la jouer de la sorte et sa tentative à lui de la contrer est une autre jolie séquence, aussi brute soit-elle !
Le mensonge, le tout premier est ici débusqué, trompé et amène à une vision que l'on ne sait réelle ou non. La force de cet instant de fragilité débouche sur un " Amour ". Un tir, des tirs, de l'alcool, une crise sous l'auspice des festivités d'un 14 Juillet, de ces feux d'Art-ifices entraine une farandole sur un pont qui continue avec les années de me surprendre. J'ai beau revoir cette parade, en boucle, elle me met dans touts mes états encore une fois ! La musique qui s'enchaine, cette agression de fonctionnaire et le vol de son bateau pour faire du ski-nautique sur cette eau de Paris me chamboule, reflète et suinte de la poésie de Carax pour ses personnages qu'il bouscule ...
Le trousseau de Hans, offert à Michelle qui en larme lui hurle ses errances, son manque de voir cette toile qu'elle ne peut plus redécouvrir, et sa solution à lui est une autre plaie béante à cet instant. Je ne cherche pas mes mots, il s'impose devant la confidence de la " douleur " qu'il lui dicte, qu'elle approuve et dérive à sa guise. Une liberté, une preuve, un manifeste aussi dur soit-il ! Partir et vivre, à moitié donc ...
Sur la plage, nus, à détalés comme des dératés, à hurler leurs noms, sans horizons mais avec la mer qui berce, elle toujours. Bowie la nuit, dans cette ruelle qui dort, que les intérieurs résonnent est à mentionnés juste à coté de cette prise d'air. La combine pour le fric qui s'impose ensuite, n'est que semi-partage, à l'image d'un clapotis de boite qu'il ne souhaite pas. Il manipule sa fin, dans une culpabilité qui lui laisse endosser. Il encaisse lui aussi plus tard une peine, qu'il tente d'oublié dans l'alcool, comme au départ, dans sa mutilation qu'il n'arbore plus sur le front, mais sous sa veste, des plaies à coup de tesson qui le marque au sang. Les coups qu'il et elle échange avant la découverte des blessures sont cependant encore plus brutaux et terrible. Sa joie fugace, éclairé à la bougie par Hans qui la porte sur son dos est de suite entériné par cette colère ! Quand à ce dernier, il tombe et coule, sans que l'on ne revoit son visage lourd des stigmates qu'il a jusqu'ici arboré ...
Les cheveux d'Alex poussent, la cécité de Michelle avance, ils semblent toutefois être plus unies que jamais dans ce métro qu'ils traversent dans des confidences de tendresse, de jeu, entre eux, jusqu'au cabrioles de ce dernier qui découvre la fin de ce partage pour des affiches qu'il détruit immédiatement. " Pour moi, tu dois tout faire en grand ! "
Le feu n'y change rien, elle disparait par l'intermède de la radio offerte, avec un message qui le ramène à sa haine de lui-même. Son geste est cette fois irrémédiable. Le sort ne s'arrête pas à sa main mutilé, il se fait passer à tabac par les officiers de police qui le somme d'avouer son crime. Le jugement est sans appel ...
C'est entre ses quatre murs qu'il et elle se retrouvent. Avec ses yeux soignés et sa main à lui pansé. L'échange est rude, silence et confession amène cependant des promesses. On les verra prendre effet, mais pas vraiment comme prononcées. Le Pont réouvert, sous la neige de ce réveillon prône le retour de la boisson et des rires, des cris, des heurts ensuite ... La promesse de Havre à bord de la péniche qui s'éloigne redonne un nouveau souffle à ses amoureux transits, enfin prêt à rire et à chanter au même moment !
Ce film est un des plus magnifiques que j'ai pu voir. Aussi ardant et passionné soit-il, il témoigne d'un authentique moment de fureur et de colère dans une quête à poursuivre, coute que coute ! Leos Carax laissera un long-métrage pour la postérité !