"Le fleuve" de Renoir est une oeuvre sur beaucoup de points comparable au "Black Narcissus" de Powell et Presburger. En effet, il s'agit de deux films sur l'Inde, réalisés à peu d'intervalle (respectivement 1950 et 1947), adaptés de deux romans de la même Rumer Godden, et détachés totalement du contexte politique de l'époque, ne cherchant qu'à nous offrir de purs moments de bonheur visuel. Dans les deux films, l'histoire racontée est ainsi reléguée au second plan, ne se révèlant pas particulièrement intéressante, et ne sert que de prétexte à cette exposition de véritables peintures mouvantes. Mais l'approche des deux réalisateurs est radicalement différente. Alors que Powell réalise une pure oeuvre de cinéma, entièrement tournée en studio et à la beauté complètement irréelle, Renoir fait au contraire une oeuvre extrêmement réaliste, à l'aspect quasi documentaire. De nombreux passages nous le montrent clairement: la fête de Diwali, la manufacture de jute, les escaliers le long du fleuve, la scène magnifique de danse traditionnelle de Mélanie... "Le fleuve" se révèle alors un peu plus "sale", moins idéalisé esthétiquement, avec cet applatissement des couleurs et cette omniprésence des tons ocres et jaunes, à l'image de la couleur du Gange. C'est une peinture plus impressioniste que nous propose ici Renoir et finalement, nettement plus suggestive. Il parvient par ailleurs merveilleusement, à travers cette histoire pourtant assez légère, à nous faire entrevoir et comprendre la culture et la sagesse du peuple indien. Le film trouve alors une réelle profondeur, non pas grâce au scénario, mais grâce à tout ce qu'il y a à côté.
"Le fleuve" ennuiera certainement une grande partie des spectateurs, avides d'intrigue et de suspense. Mais quel bonheur pour les contemplatifs, les amoureux de la culture indienne ou, tout simplement, les curieux intéressés de la découvrir! Le film préféré de Renoir est un véritable chef d'oeuvre.