À la sortie d’On ne vit que deux fois, EON Productions fait face à un problème de taille : Sean Connery a annoncé qu’il ne voulait plus interpréter James Bond ! Ne voulant pas abandonner la poule aux d’or, elle part donc à la recherche d’un nouveau visage pour incarner l’agent secret. Après avoir pensé à Timothy Dalton (qui l’incarnera 18 ans plus tard), elle porte son dévolu sur un inconnu qui n’est même pas acteur mais mannequin : George Lazenby ! Pour son premier film, ce dernier, choisi essentiellement pour son petit air de ressemblance avec Connery, s’en tire finalement plutôt bien même s’il ne possède pas le charisme de son prédécesseur dont on lui a demandé de singer l’interprétation (ce qui l’amènera à être régulièrement considéré comme un sous-Connery, contrairement à un Roger Moore qui apportera sa propre personnalité au rôle).
Cette fois, le visage le plus connu n’est donc pas le héros mais les seconds rôles que sont Diana Rigg et Telly Savalas. La première était alors auréolée d’une certaine gloire car elle sortait de la célèbre série Chapeau melon et bottes de cuir. Le second, quant à lui, n’était pas encore l’incarnation de Kojak mais était déjà à l’affiche d’un bon nombre de productions comme Les Nerfs à vif (la version de Jack Lee Thompson) ou Les Douze Salopards.
Pour ce qui est de l’histoire, alors que l’on aurait pu craindre une parodie avec le pré-générique
(dès les premières secondes, Bond sauve une jeune femme qu’il ne connaît pas et se fait agresser par des méchants sans que l’on sache pourquoi puis termine la séquence par un clin d’œil humoristique au spectateur qui sera le seul rupture de quatrième mur de la saga)
, on se retrouve au final avec un film beaucoup plus sérieux et réaliste que les précédents (à part peut-être Bons baisers de Russie). Les gadgets disparaissent donc totalement
(bien que l'on retrouve Q. dans la séquence du mariage)
. L’intrigue, elle-même, n’échappe pas à ce changement de ton car, même si l’humour est encore très présent lors de son déroulement (avec notamment de nombreuses blagues à caractère sexuelle : on a enfin la réponse sur les rumeurs qui concernent les hommes portant des kilts), elle présente la fin la plus dramatique de la série
(seul Skyfall présentera le même type de conclusion même si cela ne concernait pas la toute dernière séquence dans le film avec Daniel Craig ). On peut même être surpris de voir que Bond pense à démissionner (il faudra attendre la séquence finale de Spectre pour que cela se reproduise), agit contre les ordres de ses supérieurs (il faudra attendre Permis de tuer pour que cela puisse se reproduire), embrasser enfin Moneypenny sur la bouche (même si c’est un baiser d’adieu dans son esprit) et tombe amoureux de la fille d’un chef du grand banditisme (avec qui il s’associera même pour chercher à capturer Blofeld) au point de se marier (un cas unique dans la série)
.
De même, le personnage adopte des tenues très éloignées de celles qu’arborait Sean Connery : chemises à jabot, kilt, tenue de ski…
Le film cherche donc un renouveau dans la série mais est flou sur son rapport avec les précédents films.
En effet, le sublime pré-générique (qui est accompagné non pas par une chanson mais par un magnifique thème musical signé, une fois de plus, John Barry qui sera reprise dans plusieurs épisodes suivants) fait apparaître de nombreux extraits des épisodes précédents. De même, lors de la séquence où Bond, ayant donné sa démission, récupère ses affaires, il retrouve des gadgets provenant de ses précédentes aventures, illustrées par les musiques des films correspondants. Il sait également que Blofeld dirige le Spectre : cela signifierait donc que l’on est dans la pure suite des autres films. Mais se présente alors un énorme problème scénaristique : comme Bond et Blofeld se sont rencontré dans On ne vit que deux fois, Bond est totalement suicidaire en se jetant dans la gueule du loup ! Et surtout, comment cela se fait-il que les deux ennemis jurés ne se reconnaissent pas au premier coup d’œil (même si Blofeld s’est fait couper le lobe de l’oreille) ! La fidélité d’adaptation au roman d’origine trouve ainsi une limite de taille (surtout quand l’ordre des films ne respecte pas celui des œuvres signées Ian Fleming et que d’autres volets s’étaient permis de prendre de nombreuses libertés dans l’adaptation). Le film est donc cohérent à l’intérieur de son propre récit mais ne l’est plus intégré à la saga ! Le scénario présente d’ailleurs un détail intéressant en évoquant la généalogie de Bond : on apprend que la devise de la famille est "Le monde ne suffit pas", qui servira de titre à la troisième aventure du héros sous les traits de Pierce Brosnan.
Pour le reste, le film présente toujours des séquences d’action spectaculaires (on y trouve les premières scènes de ski de la série) et la réalisation de Peter Hunt possède des aspects assez intéressants (la scène du repas est une pure séquence de monteur, métier que Hunt exerçait sur les précédents films). La musique de John Barry, totalement caractéristique de cet univers, quant à elle, est toujours aussi sublime et on peut apprécier la chanson We have all the time in the world chantée par Louis Armstrong.
Ainsi, même si on peut regretter le départ de Sean Connery
et le gros problème scénaristique concernant l’absence de reconnaissance physique immédiate du héros et de l’antagoniste
, Au service secret de sa Majesté fait partie des meilleurs moments de la saga, notamment par une fin qu’il vaut mieux éviter de révéler. Hélas, le moindre succès du film et les relations compliquées entre l’acteur ne croyant pas dans l’avenir du personnage et la production amèneront George Lazenby à ne pas retrouver une seconde fois le héros.