Huit ans après son grandiose Solaris, Tarkovski revient avec un très long métrage de fantastique minimaliste, au point que l'œuvre semble être vide de tout ce dont elle parle. On y parle d'une Zone, apparue avec la chute d'une météorite vingt ans auparavant, surface désolée renfermant d'étranges pièges. La Zone est fondée sur les décors d'une Estonie toujours soviétique, et elle n'est rien de plus pour le spectateur que des friches où l'eau coule sur des ruines en béton, çà et là envahies par les hautes herbes.
Les explications ne seront pas au rendez-vous, et l'on peut en vouloir au réalisateur d'avoir fait de son film une odyssée interminable en direction de ce qu'elle n'atteindra jamais. Les mystères de la Zone resteront opaques, comme cachés par la brume peuplant cet univers sordide. Mais derrière cette privation, le génial réalisateur cache une addiction à notre égard qui ne peut que nous laisser plein de gratitude ; une contemplation au rythme de l'Univers, aussi insensible que monumentale, où chaque seconde est remplie, tantôt par un gros plan grandiose d'un acteur très compétent, tantôt par un paysage anodin auquel Tarkovski arrive à attribuer, on ne sait comment, une aura mystique plus que fascinante.
Tarkovski sait nous frustrer mais il sait aussi composer des poèmes graphiques. Les éclairages et les couleurs, pourtant toujours sépias, sont les vecteurs d'une beauté austère comme un matin d'automne, comme un accès de nostalgie privée d'elle-même. Les dialogues se font attendre, et les pauses entre deux lignes sont plus insupportables encore que les lents zooms avant et arrière. Mais il y a de la technique, de la beauté et du timing derrière ces longues images. Si l'on parvient à ne pas lui en vouloir pour les promesses qui se révèlent toujours être la carotte au bout d'un bâton, on ne pourra qu'être absorbé par ces cadrages et ce sens qui s'écoule au compte-gouttes. Ce qui est géant est toujours lent, non ? Mais bon, peut-être le réalisateur soviétique a-t-il cru que la lenteur générait la grandeur, et non l'inverse...
Ce qui fait de Stalker une création incroyable, ce n'est pas seulement la détermination de son créateur, mais surtout qu'il nous impose des réflexions servant de pile atomique à notre captivité reconnaissante ; la Zone pourrait très bien n'être que le fruit de notre imagination de spectateur et de celle des personnages. C'est un film qui se réfléchit, et de cette réflexion ne semble pouvoir naître que de l'admiration.
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