Un film puissant, unique, envoutant, qui aborde le thème rare, complexe, de la création. Peut-être le film le plus riche, le plus rigoureux sur ce thème, et en tout cas le chef d’œuvre de Jacques Rivette. Il y a tout d’abord le fond , avec ce peintre célèbre qui n’a plus d’inspiration depuis 10 ans , et qui soudain suite à la rencontre avec une jeune fille à la personnalité forte , un peu rebelle, va reprendre goût à son art, il la désire comme modèle.. Il y a alors une sorte de montée en « transes » pour le peintre, les séances sont pour lui des sortes d’illumination, , on est très proche du remarquable document « Le mystère Picasso » de Clouzot. Piccoli est admirable, et tient là probablement son plus beau rôle, il est habité, il est « fou » pour sa peinture, sous extase. Il joue magnifiquement tous les sentiments, toute la profondeur du personnage. Pour le modèle Emmanuelle Béart, qui tient là aussi le meilleur rôle de toute sa carrière, personnage rebelle qu’elle essayera de reprendre dans presque tous ses films, mais qui ne sera jamais aussi juste qu’ici. Pour le modèle, le principe est l’abandon et la soumission. Elle lui dit à un moment : « on dirait un chat qui joue avec une souris »Elle qui était rebelle, se prête à ce jeu , pour apprendre sur elle même, comme une psychanalyse, elle s’abandonne totalement, tout en essayant parfois d’apporter son input à la création. Elle est intellectuelle et intelligente, elle sait qu’elle participe à la création d’un chef d’œuvre et aussi à la résurrection d’un génie. Elle accepte tout, elle se laisse tordre, « briser », « torturer », car il veut capter , capturer l’intérieur de son âme et pas seulement son physique extérieur. Et puis il y a le nu, qui n’est pas sensuel comme habituellement au cinéma dans la plupart des cas, pas sexuel, on est au delà du désir, mais bien dans l’esthétique, comme dans l’essence même de l’art ,de la culture antique. Béart est nue et contorsionnée, comme on le voit rarement au cinéma, c’est tout simplement beau, sublime, émouvant mais choquant aussi, car c’est du nu pour le nu, pas dans l’exercice de l’amour. Et puis il y la forme parfaite, Rivette traitant le thème de la création se doit d’être très bon, et il l’est. L’image est lumineuse, de toute beauté, les cadrages au millimètre, , les plans séquences sont magnifiques. Ce travelling sublime dans le jardin cadrant Birkin et le fiancé et puis au loin , au centre même de l’image on voit apparaître un tout petit point, avançant vers nous , qui deviendra le personnage de Béart, sublime , à couper le souffle. Chaque plan est un petit bijou.Il y a aussi le rôle important joué par le vrai peintre , Bernard Dufour, avec tous les gros plans sur sa main, peignant , qui nous décortique complètement le processus de la création . Et puisil y a l’ « escamotage » final, bluffant, sorte de mise en ellipse, de tout le film : l’art reste un mystère, connait-on les fondements de l‘intelligence humaine, de la création. ? Le film dure 4 heures mais chaque minute est intéressante, il n’y a pas un plan de trop, on se laisse envouter et emporter par ce chef d’œuvre, qui reste intemporel, et n’a pas pris une ride en 2016.