Il y a des fois, on pense commencer à bien connaître un réalisateur, je veux dire, des Godard, j'en vu plusieurs dizaines, et j'ai souvent adoré, parfois juste aimé, mais on ne s'attend pas à un film comme ça.
Week End le précédent film de Godard se finissait sur la "fin de cinéma". Godard ne pouvait plus continuer à faire des films comme il le faisait avant. On sentait bien déjà avec la Chinoise et Week End que ça amorçait quelque chose de nouveau, de politique, de visionnaire.
Les propos tenus par Godard dans le vent d'est, et la cohérence de la démonstration je m'attendais plus à la voir chez Chris Marker, cette analyse de l'échec de Mai 68, lui qui dans chats perchés (je n'ai toujours pas vu le fond de l'air est rouge), cernait très bien ces manifestations petites bourgeoises. Godard lui est complètement fou, il est dans sa bulle, c'est peut-être le souci avec les génies, à un certain moment ils peuvent craquer et ça donne le vent d'est, qu'il a réalisé avec le groupe Dziga Vertov qu'il a fondé si je ne me trompe pas. Vertov étant un réalisateur soviétique (pour ceux qui ne connaissent pas).
Godard voulait sortir du cinéma commercial, pourquoi ? parce qu'un film produit, est forcément déjà accepté par le système.
Il fallait sortir du système, rentrer dans la lutte, pas la bête lutte cégétiste, non lui il critique la CGT jouant le jeu du patronat, il critique l'autogestion qui n'a rien de marxiste (faisant en même temps évoluer mes propres idées politiques), il critique Eisenstein et Griffith (je le trouve bien dur pour le coup adorant ces deux réalisateurs).
Il pose la question "que faire ?" Titre d'un essai de Lénine. Il va répondre à la question, autocritiquer sa réponse, comprendre qu'il fait des erreurs, c'est juste magistral.
On a là un réel essai philosophique filmé, intelligent, intéressant, argumenté, et on a toujours ce côté Godardien dans le montage, les intertitres, les voix qui se répètent, mais là il va même jusqu'à expliquer au spectateur sa mise en scène, pourquoi ceci, pourquoi cela, pourquoi ce capharnaüm… Non seulement on se rend compte que tout est pensé (qui aurait cru l'inverse ?), mais que ça a un sens profond et politique.
Alors forcément c'est le genre de films qui vont laisser 99,99% des spectateurs de côté, y compris chez les plus cinéphiles d'entre eux, voir même chez les grands amateurs de Godard, chez les marxistes, pourquoi ? Parce que tout simplement c'est tellement avantgardiste, je veux dire, ce film sort aujourd'hui, il aurait encore 100 ans d'avance, c'est dire à l'époque.
Et puis il y a la magnifique Anne Wiazemsky sublimée dans une scène magnifique avec un miroir.
Pour moi ce film est juste un monument, certes, c'est pas le film le plus marrant de Godard, le plus jouissif, le plus libre (enfin donnant le plus cette impression de liberté) mais c'est sans doute son plus fou, son plus engagé (du moins dans ce que j'ai pu voir), son plus novateur, malgré qu'il soit prisonnier de ce cinéma révolutionnaire.
Il faut absolument que je vois d'autres films du groupe Dziga Vertov.
Après je pense que la lucidité de Godard apporte énormément au film, mais c'est brillant, d'ailleurs le cinéma de Godard sera marqué profondément par cette période, il n'arrivera jamais à revenir à sa période pré Pierrot le Fou, même après son retour au cinéma commercial avec Sauve qui peut la vie.
Il y a aurait tant de choses à dire, mais je pense qu'il faut voir le film, quitte à le détester, mais sachez que Week End ou la Chinoise, c'est rien du tout à côté de ce film là.