« Sainte-Rita, vous qu’êtes pleine de grâce, faites que le gros mauvais se fasse repasser et que tantine me pique pas mes sous. J’aimerais bien aussi que Fred ait un accident ou une maladie mortelle, enfin quelque chose comme ça. Vous voyez, je vous fais confiance, hein ! »
(Attention : de nombreux autres films de la même époque sont listés dans cette critique à des fins de contextualisation, merci pour votre compréhension.)
1968. Michel Audiard, hyperactif du dialogue et des scénarios, reste sur d’énormes succès critiques et populaires : Maigret Tend un Piège, Jean Delannoy, 1958, Les Vieux de la Vieille, Gilles Grangier, 1960, Le Cave se Rebiffe, Gilles Grangier, 1961, Un Singe en Hiver, Henri Verneuil, 1962, Les Tontons Flingueurs, Georges Lautner, 1963, Un Idiot à Paris, Serge Korber, 1967, Le Pacha, Georges Lautner, 1968 aussi. Fort de ses expériences aux côtés de grands réalisateurs populaires, il tente l’aventure et passe derrière la caméra pour mettre en images ses délires argotiques et burlesques.
Ce premier essai, boudé par la critique mais salué par le public (plus de 2 000 000 d’entrées), deviendra également un pilier des rediffusions télévisuelles comme bon nombre d’autres films, moyens, avouons-le, scénarisés, dialogués et/ou réalisés par Audiard.
Au casting, on retrouve une bonne partie de sa bande : Françoise Rosay et Paul Frankeur, qui ont vu leur carrière relancée dans des rôles de flingueur·ses du 3ème âge, Bernard Blier, qui semble avoir été fait pour incarner les faux durs un peu caves, André Pousse, personnage type de la faune audiardesque, Raoul Saint-Yves, Dominique Zardi, Robert Dalban, bref, une galerie de caractères et de gueules dans la vieille tradition des troupes de théâtre jouant la farce. Sans oublier une Marlène Jobert pétillante, cynique et drôlissime.
Au scénario, ça se complique un peu malgré l’appoint de Jean-Marie Poiré (qui fera le bonheur des spectateurs dans les années ‘80 en s’associant aux acteur·trices du Splendid) et d’Henri Viard, collaborateur récurrent d’Audiard. A l’image d’un Francis Veber qui lui devra beaucoup, Audiard est bien plus percutant dans ses dialogues que cohérent et fin dans les histoires qu’il raconte, souvent les mêmes, pratiquant une sorte d’auto-plagiat. Elles servent avant tout de prétexte à susciter l’humour de situation, burlesque ici, l’esprit cartoon déjà présent dans les Tontons, à travers des scènes drôles, décalées et, pour certaines, inattendues. Ces histoires de gangsters lui servent aussi à dépeindre une fresque sociologique avec une foule de préjugés qui lui seraient aujourd’hui, et à juste raison, renvoyés en pleine face : homophobie, passéisme, sexisme, culture du viol, transphobie, racisme. Reste que ses héros (exclusivement des hommes blancs hétéro de plus de quarante ans) sont surtout des anti-héros ou des gangsters, ce qui permet une plus grande latitude en terme de critique sociale : Audiard dénonce ce qui ne lui plaît pas mais sans en faire propagande politique puisqu’il dénie aussi toute représentativité aux tenants du pouvoir officiel (police, politiciens, juges, etc.). Dans ce film, néanmoins, le personnage principal est une héroïne, Rita, peut-être pas encore l’archétype de la femme badass mais déjà plus la nunuche à la fonction stéréotypée, d’autant que le personnage qui va l’aider à recouvrer, sinon son honneur, au moins ses sous, n’est autre que sa vieille tantine. Paradoxal et surprenant Audiard.
Aux dialogues, il est difficile d’être mauvais public. Si Audiard a déjà, par le passé, loupé certains films (La Métamorphose des Cloportes, Pierre Granier-Deferre, 1965), il demeure une valeur sûre, auteur de tirades cultissimes du cinéma français. C’est encore le cas ici, en digressions et apartés redoutables et truffés de références culturelles. Un régal.
A la réalisation, enfin, le générique donne le ton : on est dans du cartoon, du Tex Avery filmé en prises de vue réelles. La série La Panthère Rose de Blake Edwards a commencé 5 ans plus tôt, What’s New Pussycat ? Date de 1965 et Casino Royale, parodie des James Bond en coréalisation, est sorti en 1967 : on est en plein âge d’or des screwball comedies. Audiard ne déroge pas aux codes du genre : incrustations graphiques, gros plans, adresses face caméra, plongées et contre-plongées, la caméra donne du rythme et du relief aux dialogues, à tel point qu’on peut se demander pourquoi la critique a boudé ce film.
Vous l’aurez compris, pour apprécier ces Enfants du Bon Dieu sans a priori, ainsi que toute l’oeuvre d’Audiard, il faut impérativement tenir compte du contexte socio-culturel d’une époque en pleine mutation. On rit gras, parfois honteux, souvent franchement mais on rit beaucoup et c’est là l’essentiel. Pour son premier film en tant que réalisateur, libéré de toute contrainte, Audiard a frappé fort et nous livre une comédie culte.