Réalisé par Jean Image, sorti en 1950, Jeannot l'intrépide peut être considéré comme le tout premier long métrage d'animation Français. Ce ressemble à un somptueux album colorié dont les insectes stylisés s'animent sur un rythme follement accéléré.
Après un mauvais démarrage en salles, le film reçoit en 1951 le Grand Prix du film pour l'Enfance à la Biennale de Venise, ce qui lui permet de s'offrir une seconde naissance et, à la clé, un succès d'où Jean Image pourra tirer un deuxième long métrage : Bonjour Paris, ou la Tour prend garde.
L'intrigue de Jeannot l'intrépide s'inspire librement du conte de Charles Perrault "Le Petit Poucet". A l'instar des modèles inaugurés par les studios Disney, Jean Image privilégie une atmosphère et une poésie exclusivement destinées à un public d'enfants. Walt Disney n'était cependant pas seulement un modèle mais aussi un concurrent direct. Marie-Luce Image, la fille du réalisateur, le souligne : "Mon père admirait Disney mais voulait s'en démarquer en réalisant des dessins animés populaires et divertissants accompagnés d'un message pédagogique. Il prônait dans ses dessins animés une animation originale et souple, des personnages et des décors aux couleurs souvent très vives. Cet amour de la couleur venait de son enfance, ma grandmère était artiste peintre et peignait de grandes compositions florales en utilisant des couleurs très vives. Pour son graphisme, il est difficile de trouver les influences qu'il aurait pu avoir, il ne semblait pas vraiment avoir de maître. C'est vraiment un dessin original, d'autant qu'il variait d'une oeuvre à l'autre."
Le réalisateur Jean Image confiait autrefois : "Dès ma tendre enfance, je dessinais, je ne cessais de dessiner... sur tout ce qui se trouvait à portée de main : du papier, la table où nous prenions nos repas, les nappes en tissus, et, à la grande colère de Maman, sur les serviettes brodées que mes tâches d'encre rendaient irrécupérables ! Oui, c'était avec un crayon à encre, précurseur de nos stylos à bille, que je dessinais mes petits bonshommes – de l'animation avant la lettre !" La fille du cinéaste, Marie-Luce Image, témoigne quant à elle : "Mon père vivait dans un monde intérieur, imaginaire. Quand je lui posais une question, il ne réagissait pas immédiatement et je devais attendre environ un quart d'heure avant qu'il ne me réponde. Il me répondait toujours mais il y avait systématiquement ce léger décalage qui donnait des échanges assez décousus et parfois très drôles car il avait un grand sens de l'humour. Il n'avait jamais oublié ses livres d'enfance et voulait recréer ces différents univers. C'est ce qui l'a vraiment poussé à faire Jeannot l'intrépide."
Dans un texte intitulé 50 ans de dessin animé, le réalisateur Jean Image revient sur la genèse du projet, dont le but était avant tout de faire un film populaire : "(...) en ce qui me concerne, je me souviens encore que pendant mes vacances passées chez mes grands-parents dans un petit village des Karpates avant d'être en âge de fréquenter l'école, j'ai, couché par terre, observé des heures entières le "manège" des fourmis, essayant de deviner à quoi rimait tout ce va et vient de ces petits êtres besogneux. Puis, en relisant Le Petit Poucet de Perrault, cela m'a donné l'idée de base d'un scénario intitulé Les Nouvelles Aventures du Petit Poucet. Ce conte n'a été que le point de départ d'une aventure fantastique, car l'ogre transposé à une époque proche de la nôtre, réussit, grâce à une machine infernale, à réduire la taille de ses victimes à de si minuscules proportions qu'il pouvait les dévorer comme un sandwich. Mais Jeannot, le petit poucet, parvenait à s'évader et se vit plongé dans l'univers mystérieux des insectes, où il put s'initier à la manière de vivre de toute ce petit monde. Mon but, en mettant en scène la vie d'un petit garçon au comportement d'un jeune scout avec ses vertus de courage, de bravoure et d'intrépidité, était d'apporter dans ce dessin animé d'une heure vingt, du mouvement, des aventures, de la poésie, des gags, mais j'ai surtout pensé faire un film populaire."
Le film de Jean Image propose un voyage plus large au coeur de l'univers complexe des contes. Le film apparaît comme une nouvelle version du conte Le Petit Poucet, adaptée au public du XXe siècle et mélangée à l'univers des insectes. Le conte pour enfants se définit justement par son caractère inépuisable. Mais l'histoire originale peut être racontée d'une infinité de façons, et les contes les plus célèbres sont issus d'une très ancienne tradition orale. Ce n'est pas un genre littéraire fixe, mais il existe à travers la transmission : il est toujours possible de le remettre à jour, de le réécrire, ou de le raconter autrement. Dans la manière même de dessiner ses personnages, Jean Image répond aux codes du conte pour enfants. Ses figures, simples et schématiques, aux proportions démesurées, semblent tout droit sorties de cahiers d'école gribouillés par des enfants imaginatifs. Certaines parties du corps de l'ogre semblent plus grosses, comme pour souligner sa seule fonction : manger les petits. Comme le loup du Petit Chaperon rouge, à la question "Mais pourquoi tes mains sont-elles si grandes ?", il répondrait par "C'est pour mieux t'attraper, mon enfant !". Ou, pour justifier la démesure de sa bouche, la taille de sa langue, l'aspect tranchant de ses dents : "C'est pour mieux te manger, mon enfant !". De même, Jeannot et ses frères, identiques en apparence, figures effilées aux voix fluettes, semblent fonctionner comme des symboles : ce sont avant tout des petits enfants, comme tous les petits enfants de tous les contes de fées – ils ne sont pas encore "formés". Ce sont les aventures et les épreuves traversées qui vont en faire de véritables personnages et construire leurs personnalités. La matière de départ utilisée par Jean Image est donc celle, innocente et archétypale, du conte.
Marie-Luce Image revient sur la dimension pédagogique de Jeannot l'intrépide : Mon père voulait transmettre une information à travers ses films. Pour cela il s'est inspiré de ses lectures d'enfance, dont "La Vie des abeilles" ou "La Vie des fourmis de Maeterlinck". Ceci était assez précurseur car la plupart des films de l'époque n'avaient pas cet aspect pédagogique. Ainsi dans "Les Aventures de Joe", inspiré de Jeannot l'intrépide, des séquences montraient comment les abeilles récoltaient le pollen, construisaient les alvéoles destinées à recueillir le miel, ... des informations simples destinées à éveiller l'esprit de curiosité des enfants. Mon père voulait toucher un grand public. Son souci constant était le développement de l'animation française. Il a participé à de nombreux festivals, Annecy, Cannes, et il a créé des cours d'animation par correspondance et formé ainsi de nombreux dessinateurs. Pour lui, le film d'animation est un langage universel qui peut favoriser les échanges à travers les peuples.