(Aucune critique ne devrait conseiller de voir un film. La critique n’est pas un avis, elle permet un dialogue entre le rédacteur et son lecteur, sur le principe qu’ils ont vu tous deux le film. Ne lisez donc pas ce texte sans avoir vu « Lady for a day »). Le malaise. C’est le sentiment étrange qui court à l’esprit à la fin de « Lady for a day » (USA, 1933) de Frank Capra. Comédie symptomatique du cinéaste, en cela qu’elle situe l’homme de la rue au centre d’une intrigue qui enveloppe, dans son ensemble, la société WASP américaine, le film repose sur un noeud dramatique d’une intensité roublarde, comme Robert Roskin savait les nouer : une mère clocharde doit accueillir à New York sa fille qu’elle n’avait pas revue depuis son enfance alors qu’elle lui fait croire depuis des années, dans ses lettres, qu’elle est une riche notable. L’enjeu familial est redoublé par la présence annoncée du futur mari et du futur beau-père, aristocrates espagnols. S’en suit, par la force de scènes raccommodées et de personnages pittoresques, une intrigue hollywoodienne, sans sutures, filant d’une seule traite vers le moment tant redouté où le leurre sera démasqué et où la moral, la plus élémentaire quoique la plus désirée aussi, condamnera le mensonge au profit de l’éclat salutaire de la vérité. Le malaise, donc, qui reste au final provient justement du fait que ce moment de révélation n’arrive jamais. Le départ de la jeune fille avec sa belle famille se fait alors qu’ils croient toujours que l’Apple Annie, la mère clocharde, est en fait une célèbre lady new-yorkaise. Ce pied-de-nez à la moral serait profitable, on s’en réjouirait, s’il n’était pas en fait produit par un amour trop patent, de Capra et de Riskin, pour le happy-end. S’il intervient à point nommé, et s’apprécie d’autant mieux, dans « It’s a Wonderful Life » (1946), il arrive là comme une amarre qu’on aurait soudé par force et qui pèse trop pour que l’ensemble prenne son plein envol final. C’est un poids lourd finalement qui demeure, laissant néanmoins papillonner le souvenir d’une May Robson (Apple Annie) émouvante au point d’égaler les mères fordiennes (ce qui n’est franchement pas peu dire !).