Quand il met en scène « Tempête à Washington » en 1962, Otto Preminger fait partie des plus grands réalisateurs d’Hollywood. Arrivé d’Allemagne en 1935 à l’invitation de Joseph Schenk le patron de la 20th Century Fox, il accède rapidement à la reconnaissance critique et à la gloire avec « Laura », film noir sorti sur les écrans en 1944 qui révèle le talent et la beauté de Gene Tierney, passant subitement au statut de star. Les succès seront nombreux (« Crime passionnel », « Un si doux visage », « Rivière sans retour », « Carmen Jones », « L’homme au bras d’or », « Autopsie d’un meurtre », « Exodus ») et aucun film du réalisateur austro-hongrois ne sera inintéressant. Avec « Tempête à Washington » adapté d’un roman d’Allen Drury, prix Pulitzer en 1960, il plonge sa caméra au cœur du pouvoir américain dans l’enceinte même du Sénat. Le président malade (Franchot Tone) songe à nommer un secrétaire d’Etat (Henry Fonda) dont il pense qu’il sera à même de poursuivre sa politique étrangère une fois qu’il ne sera plus en état d’assumer sa charge. Selon la procédure américaine dite « Advise and consent », le choix du Président doit être approuvé par les sénateurs. Celui-ci pose problème car un vieux sénateur (Charles Laughton) madré et acariâtre mais avant tout anti-communiste enragé, conteste la nomination de l’impétrant pourtant démocrate comme lui. Robert A. Leffingwell (Henry Fonda) ayant appartenu brièvement au parti communiste dans sa jeunesse, le vieux sénateur refuse de le voir placé à un poste si stratégique. Une commission d’enquête est nommée. Impossible dès lors de ne pas penser à la commission du tristement célèbre sénateur McCarthy qui siégera de 1953 à 1954. Otto Preminger a déjà fait fi de la fameuse liste noire d’Hollywood faisant travailler Donald Trumbo au scénario d’« Exodus » dès 1958 . Wendell Mayes avec lequel il avait déjà travaillé pour « Autopsie d’un meurtre » trois ans plus tôt, détaille par le menu la procédure voulue par la Constitution américaine et les tractations qu’elle entraîne n’excluant pas les complots et trahisons de toutes sortes. Preminger use du style documentaire pour favoriser la pédagogie et renforcer la crédibilité de son propos tout en faisant montre de sa science du suspense qu’il a rodée en se frottant au film noir dont il a été durant les années 1940 l’un des maîtres incontestés avec John Huston, Billy Wilder et Robert Siodmak. Le casting dont il dispose est tout simplement époustouflant de Franchot Tone émouvant au possible à Charles Lauhgton visqueux à souhait en passant par Burgess Meredith détestable en petit fonctionnaire délateur, Henry Fonda raide comme la justice, Peter Lawford onctueux et compatissant, sans oublier une Gene Tierney un peu effacée que Preminger n’a pas oubliée alors qu’elle traverse une période difficile et que sa carrière marque le pas. Le grand réalisateur tire le meilleur de chacun pour dénoncer les travers de la politique qui pousse parfois les hommes dans ce qu’ils ont de pire. Il n’omet pas non plus de rappeler que le sénateur McCarthy était en sus profondément homophobe en montrant comment à travers
le personnage interprété par Don Murray, la révélation d’une sexualité jugée alors comme honteuse pouvait conduire un homme au suicide
. « Tempête à Washington » très pessimiste se conclut tout de même par un retour à la raison et à l’esprit de la Constitution. Au passage un homme sera mort. Plutôt méconnu « Tempête à Washington » figure donc parmi les meilleurs films de son auteur. A voir absolument avec « La dernière fanfare » de John Ford, « Que le meilleur l’emporte » de Franklin J Schaffner (1964), « Sept jours en mai » de John Frankenheimer (1964), « Votez McKay » de Michael Ritchie en 1972 et « L’ultimatum de trois mercenaires » de Robert Aldrich en 1977 pour avoir une vision passionnante et relativement exhaustive de la politique américaine des années 1950 à 1980.