Le légendaire, pour de multiples raisons, Stanley Kubrick livre en 1964, quelque part entre Lolita et son chef d’œuvre de la Science-fiction, 2001, une comédie caricaturale, une véritable satyre sur la guerre froide, Docteur Folamour. S’il serait aujourd’hui difficile, voire impossible, pour un jeune cinéphile rompu au système hollywoodien contemporain de se plonger avec délectation dans ce drôle de long-métrage d’antan, c’est bien du fait d’un changement d’époque radical, d’un éloignement indéniable des évènements dont le cinéaste s’inspire. Il semble dès lors crucial, afin d’apprécier ce film, de le restituer à son époque, soit les années 60. Jadis, la paranoïa d’une guerre nucléaire était omniprésente, la guerre froide battait son plein et tout un chacun voyait en l’étranger un potentiel espion d’un empire ennemi. Au surplus, les rumeurs d’extradition à des fins militaires d’anciens chercheurs nazis, la présence invisible de bombardiers et autres engins de morts près des frontières, alimentaient les discussions, les débats et toutes formes de polémiques. Dès lors, Le Docteur Folamour, de Stanley Kubrick, à son époque, c’est important, était un véritable coup de maître, un coup de massue humoristique sur la tête d’une planète terrifiée.
Le cinéaste ose la controverse, ose aborder frontalement ce conflit de la terreur, ose surtout en rire et donc communiquer son humour noir. Que se passerait-il donc si la guerre froide devenait chaude? Que se passerait-il donc si, quelque part, un commandement militaire isolé venait à attaquer l’ennemi, de sa propre initiative? Plus le poisson est gros à avaler, plus le cinéaste semble prendre réellement son pied, nous servant un état de fait ne pouvant être contrecarré de par une technologie militaire qu’il excelle à nous en démontrer toute la teneur. Des entrailles d’un bombarder B-52 survolant le grand nord russe à la réunion de crise se tenant aux tréfonds du pentagone, en passant par une base aérienne en proie au chaos total, Kubrick s’amuse comme le libre d’esprit qu’il est à nous en faire voir de toutes les couleurs, en noir et blanc, s’il vous plaît. Clairement destiné à provoquer une certaine forme d’effroi au sein de la population, son film se caractérise pourtant de par un humour particulièrement cinglant, forme d’art qui provoque aussi bien le rire que la stupeur.
Si le cinéaste, on s’en doutait, maîtrise parfaitement ses cadrages, ses effets, il n’en reste pas moins un grand enfant jouant dans la cours de grands. Le contraste entre l’authenticité des images à l’intérieur d’un bombardier, notamment, et le cirque tragi-comique d’une salle de crise au sommet renvoie à la totale indépendance d’esprit du metteur en scène. Il jongle entre burlesque, rigueur, entre humour et horreur avec un tel détachement que son film en deviendrai presque indéfinissable, nous offrant qui plus est un final d’une noirceur en totale contraste avec son absurdité que nous en restons bouche bée. Qu’on se le tienne pour dit, si nous aimons tant Kubrick, nous autres, c’est parce qu’il ne prend jamais soin de nous, nous imposant une réelle vision de ce qu’est le cinéma pour lui qu’il impose une forme de respect inaltérable.
Restitué à son époque, donc, Docteur Folamour, alias Dr. Strangelove, est sans doute un chef d’œuvre totalement indépendant. Comme mentionné en début de chronique, cependant, le film souffre aujourd’hui d’un détachement, d’un éloignement de ses origines. En effet, comment peut-on juger sur pièce une œuvre qui se devait d’être vue dans son contexte? Difficile. Si Docteur Folamour n’est pas le meilleur film de Stanley Kubrick, pour quelques autres raisons, c’est principalement parce qu’il n’est pas intemporel, à l’inverse d’un 2001, d’un Shining ou d’un Orange mécanique. Il n’en reste pas moins une pièce maîtresse du cinéma de jadis. 14/20