Du réalisateur canadien Ted Kotcheff, le film le plus connu est le premier « Rambo » (1982), de loin, le plus réussi de la longue série.
Dix ans plus tôt, Kotcheff avait tourné en Australie, cet étonnant « Wake in fright ». Pourquoi ce « réveil dans la terreur » ? Parce que, lors d'une très longue nuit de cuite carabinée, le personnage principal découvre ses pulsions primitives sous le vernis de l’éducation et ne se souvient plus exactement de ce qu'il a a fait et que cela pourrait être le pire.
C’est l’histoire d’un type qui fait du sur place, mais, qui, finalement va découvrir, en lui, des choses qu’il ne soupçonnait pas. Le film débute par un panoramique prémonitoire sur notre « héro » (un jeune instituteur propre sur lui) et son école, totalement isolée dans le désert australien. Pour les fêtes de noël, cet urbain se réjouit de quitter ce boulot qu’il déteste manifestement, pour rejoindre Sydney. Pourtant, malgré ses efforts, tel Sisyphe, il ne quittera pas l’arrière-pays australien. Il va y être retenu par son manque de volonté et le comportement des habitants.
Dans les années 70, les films sur les « rednecks » sont nombreux, souvent décrits comme d’effrayants et violents pervers (« Massacre à la tronçonneuse » de Tobe Hooper, « Délivrance » de John Boorman). Rien de tel ici, si certains des habitants de l’outback peuvent être dangereux, c’est pour une raison beaucoup plus originale : l’hospitalité toxique.
En effet, si vous êtes blanc et dans le besoin, ils vous aideront chaleureusement, vous offriront le gîte et le couvert, mais vous devrez les accompagner dans des beuveries dantesques. L’alcool à outrance et les dérives qui s’ensuivent semblent être, dans cette région, le seul divertissement disponible, une véritable culture.
Kotcheff pose un regard d’ethnologue sur l’outback et ses ses petites villes minières poussiéreuses, écrasées de chaleur (partout de la sueur). La gent féminine y est sous représentée : la seule jeune femme jeune vue dans le film est une nymphomane… interprétée par la compagne du cinéaste. Les distractions y sont bien particulières ; parties de pile ou face assorties de paris, alcool bien sûr, bagarres, chasse aux kangourous comme exutoire à l’ennui et à la frustration. Le cinéaste tourne, évidemment, en décors réels et mêle ses acteurs professionnels (Gary Bond l’instituteur, Donald Pleasance dans une ahurissante composition de médecin quasi clochard, alcoolique terminal, dégénéré, très conscient de lui-même) avec des personnes recrutées sur place. Cela se voit, se ressent…
À la fin du film, notre instituteur revient, changé, dans son école (après un séjour à l’hôpital tout de même). Il est allé au bout de lui même, du dégoût de soi et de la déchéance (ah, pour dessoûler, le petit-déjeuner à la viande hachée de kangourous dans un taudis). Il dit, pourtant, que ce furent les meilleures vacances de sa vie. Il n’est pas sûr qu’il soit ironique… Ici, la fascination n’est jamais loin du dégoût...
Ajoutons que ce film est typique du cinéma occidental de cette période si particulière allant de la fin des années 60 au début des années 70 où, en réaction au cinéma plus corseté des années 50 (mais non dénué de qualités), tout semblait possible. Si vous allez voir, aujourd’hui, en nos temps politiquement correct, un producteur en lui expliquant que vous souhaitez réaliser un film dont le point d’orgue est une cuite géante suivi d’un massacre gratuit et nocturne de kangourous à la voiture bélier, au fusil de chasse et au couteau, il serait étonnant que vous reveniez avec des fonds.
« Wake in fright » fût, ai-je lu, en partie financé par le gouvernement australien, on pouvait pourtant rêver mieux en terme de promotion touristique...
Ce film inconfortable et malaisant vous offrira une expérience immersive unique. Il est formellement déconseillé aux amateurs de la série « Skippy le kangourou ».