Film envoûtant et oppressant, «L'Avventura» exhale une atmosphère de profond désenchantement et peut être regardé comme l'expression du désarroi philosophique qu'éprouvait une certaine bourgeoisie italienne à l'aube des années 60. On comparera d'ailleurs inévitablement avec «La Dolce Vita» de Fellini (dont le point de vue est plus extérieur). Antonioni met en scène un groupe de vacanciers désoeuvrés, tous issus des classes les plus aisées de la société italienne, et qui se complaisent dans un ennui profond mâtiné de cynisme désabusé. Lorsque, d'une manière inexplicable (et qui demeurera d'ailleurs inexpliquée), l'héroïne supposée du film, Anna, disparaît définitivement après une demi-heure, le malaise des autres personnages éclate dans toute sa plénitude. Le film raconte alors comment Sandro, le fiancé d'Anna, et Claudia, sa meilleure amie, vont se rapprocher l'un de l'autre pour une très improbable histoire d'amour. Mais comment ne pas voir, derrière ce scénario délibérément banal, une évocation de l'effacement contemporain des valeurs traditionnelles (scène de l'église désertée, mise à distance des symboles religieux) et du profond mal-être qui s'ensuit ? Antonioni ne veut-il pas nous montrer comment ses personnages vont tenter péniblement de recréer un sens à leur existence? Ceci dit, le film vaut surtout par la très remarquable mise en forme de son contenu. «L'Avventura» est d'abord un chef-d'oeuvre de suggestion qui use à merveille des images et de la musique pour évoquer l'au-delà non dit de l'histoire contée. Mais il s'agit aussi d'un monument sur le plan plastique. On a tout dit, ou à peu près, sur le génie d'Antonioni dans la maîtrise de l'espace ou la composition de chaque plan tel un tableau. Et, de fait, «L'Avventura», d'une splendeur visuelle inégalée, est une fête pour les yeux!