Il fallait que l’amour fou invente une forme à soi, un tourbillon de sensations jeté sur pléthore de lieux différents que l’on traverse vivement pour s’y poser un temps, se perdre et tout recommencer, encore. La Sirène du Mississipi porte en son titre cette charge de mystère qui se diffuse pendant le long métrage, de l’arrivée d’une femme ne correspondant en rien à la photographie et aux descriptions faites d’elle jusqu’à ses agissements secrets auxquels nous, spectateurs, avons accès, comme témoins d’une duplicité que le protagoniste masculin, lui, commence à peine à soupçonner. Néanmoins, l’ironie dramatique n’est qu’un leurre de plus, et les notes de thriller sont jouées en contrepoint : d’autres thèmes se développent en même temps et font du récit une somme de récits possibles qui se réalisent ou non, récits que nous anticipons, récits que nous fantasmons avant même qu’ils ne se réalisent, ou pas. Voilà une œuvre en perpétuelle mutation, insaisissable et libérée des carcans de genre – polar ? film sentimental ? drame ? comédie ? tout à la fois. Voilà une œuvre pleine de virages et de détours sinueux qui n’ont en commun que le goût de l’aventure et de ce risque constant, de ce vertige permanent, qu’est l’amour véritable. Aucune zone de confort ici, seule une zone de turbulences, cellule conjugale qui s’impose d’emblée par le mariage et qui se déstructure, s’affranchit des normes en vigueur pour se raccorder aux aléas d’un cœur qui bat à l’unisson de l’autre. L’amour fou est hors de la raison, hors de la vraisemblance et de la logique ; il mêle pulsion de vie et de mort, à l’image du poison qui affaiblit Louis dans le chalet mais qui ravive la flamme de leur passion, anticipant la clausule fameuse du film de Paul Thomas Anderson, Phantom Thread. François Truffaut signe avec La Sirène du Mississipi une œuvre magistrale, l’un des plus beaux et des plus douloureux amours fous de l’histoire du cinéma, forte de deux acteurs immenses : Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo.