Si Alfred Hitchcock est aujourd’hui un cinéaste reconnu comme capital dans le monde entier, cette reconnaissance est en grande partie due au travail critique des futurs cinéastes de la Nouvelle Vague et notamment de François Truffaut (si on ne doit lire qu’un seul livre de cinéma dans sa vie, c’est bien le célèbre Hitchcock/Truffaut). Il n’est donc pas étonnant que plusieurs films de Truffaut portent l’influence du cinéaste anglais. La Sirène du Mississipi est de ceux-là.
En effet, ce long-métrage est une pure fiction (arrivant après Baisers volés qui fait partie de la veine autobiographique du cinéaste) qui est tirée du roman Walk into darkness de William Irish paru en France sous le titre La Sirène du Mississippi (avec deux "p" en référence au fleuve américain alors que le film de Truffaut n’en comporte logiquement qu’un en référence au nom du bateau par lequel le personnage interprété par Catherine Deneuve arrive à la Réunion) et est empreinte de la culture cinéphilique de Truffaut en particulier de son amour pour les cinémas de Jean Renoir et d’Alfred Hitchcock. Le premier est cité explicitement à plusieurs reprises : le film s’ouvre sur une voix-off décrivant l’histoire de la Réunion en étant illustrée par des images de La Marseillaise même si ce qui est raconté n’a rien à voir avec la Révolution française puis apparaît un carton dédiant le film à Jean Renoir, Louis Mahé dit aller voir au cinéma Arizona Jim qui est personnage des romans qu’écrit le personnage principal du Crime de Monsieur Lange… Cependant, l’influence la plus flagrante est celle d’Alfred Hitchcock même si elle est plus discrète : univers du thriller, personnage principal féminin qui est une blonde élégante (même si elle est hôtesse de charme pendant un moment), cette dernière est frigide à un moment (comment ne pas penser à Pas de printemps pour Marnie), personnages en proie à cauchemars (La Maison du docteur Edwardes, Pas de printemps pour Marnie à nouveau…), voix-off pendant que Louis Mahé conduit (Psychose), boisson empoisonnée (Soupçons), chute de Comoli dans l’escalier (Psychose)… Cependant, comme toujours avec lui, Truffaut imprègne son film d’une influence plus large que ce soit dans ses citations (sont évoqués Les Hommes préfèrent les blondes, Johnny Guitare) ou dans ses techniques cinématographiques (les inserts à l’iris qui sont hérités du cinéma muet et qui sont parfois détourné en iris rectangulaire), fondus au noir…
Cette totale maîtrise de la cinéphilie permet à François Truffaut d’offrir un film très plaisant qui utilise en plus, à la manière d’un Hitchcock, l’image cinématographique attachée à ses acteurs même dans des contre-emplois (même s’il joue un personnage longtemps victime, Jean-Paul Belmondo fait preuve de son talent pour les cascades dans le plan-séquence de 3 minutes où il escalade un immeuble). De plus, le film possède une des répliques les plus célèbres si ce n’est la plus célèbre de la carrière du cinéaste au point qu’il la réutilisera dans Le Dernier Métro ("C’est une joie et une souffrance").
Cependant, le film n’est pas exempt de tout défaut. Ainsi, l’étude psychologique des personnages n’est pas assez poussée. Ainsi, le passage du désir de vengeance de Louis envers Marion à celui de l’aider au point de devenir lui-même meurtrier est trop rapide pour être véritablement compréhensible. De même, la dernière partie du film (la fuite vers la Suisse et le suspense autour de l’empoisonnement) semble tirer le film en longueur et être assez inutile et une fois de plus est moyennement crédible d’un point de vue psychologique. De même, on est surpris de ne pas toujours comprendre distinctement ce que disent certains acteurs, et en particulier Catherine Deneuve, alors que cela n’a aucune justification artistique.
À l’exception de ces aspects, La Sirène du Mississipi est une œuvre très divertissante à suivre tout en portant très clairement la marque de son cinéaste. Sûrement pas le meilleur Truffaut mais un très bon film quand même.