Quel meilleur réalisateur que Luc Besson pour traiter un personnage historique aussi symbolique que Jeanne d’Arc, franchement ? Avec ses films précédents qui dévoilaient des portraits forts et atypiques de femmes complexes, notre cinéaste national s’attaquait à du très lourd en voulant évoquer le parcours de la Pucelle tout en se sentant en terrain connu question scénario. Malheureusement, ce film est arrivé au moment où Besson a commencé à se perdre dans un cinéma dont il n’a aujourd’hui plus le contrôle (alors que paradoxalement, il prétend l’avoir). Retour sur ce long-métrage (trop) ambitieux qui représente à lui seul la position du réalisateur en ce qui concerne le cinéma français à l’international : avoir le cul entre deux chaises.
Du point de vue scénaristique, il y a du bon comme du mauvais. Et c’est bien dommage étant donné que sur le papier, Luc Besson voulait à tout prix s’éloigner de l’aura quai messianique de Jeanne d’Arc pour en faire une femme et rien d’autre. De ce côté, le cinéaste fait preuve d’un culot hors pair en s’appropriant la légende à sa manière. Par là, il faut entendre que Besson se permet énormément de libertés vis-à-vis des faits historiques et des témoignages d’époque afin de mieux servir sa façon de voir le personnage. À savoir une jeune femme qui suit naïvement des visions et qui va en douter par la suite étant donner les massacres que cela va créer. Le fait de voir Jeanne perdre confiance en Dieu, en sa Foi et en ce qu’elle entreprend – au point d’être vraiment considérée comme une folle aux yeux des spectateurs – nous permet d’avoir un protagoniste d’une complexité travaillée comme on pouvait s’y attendre de la part de Besson. Cependant, l’ensemble souffre d’une écriture des plus bancales. En effet, le scénario de Jeanne d’Arc dépasse tellement l’ambition du Français qui perd le spectateur en proposant des séquences qui manquent cruellement de clarté. Que ce soit l’intervention aléatoire des visions ou bien l’apparition sortie de nulle part de la conscience de Jeanne. D’ailleurs, ce détail est la preuve de l’écriture non contrôlée du film : on croit voir Dieu alors que Besson parle de conscience. Jamais dans le film cela n’est évoqué même indirectement ne serait-ce une seconde ! Résultat, on se retrouve avec un script certes riche question personnage principal, mais qui ne parvient jamais à lui faire honneur tout en sacrifiant maladroitement les secondaires (qui disparaissent du film comme bon leur semble), perdant un public qui se sent pour le coup déboussolé.
Autre problème : tout ce qui concerne le tournage. Avec un long-métrage tel que Jeanne d’Arc, autant dire que Luc Besson s’était mis en défi de nous livrer un Braveheart à la française, ce qui était tout à son honneur (surtout après avoir mis sur pieds un projet tel que Le Cinquième Élément). Et question moyens, Jeanne d’Arc tient ses promesses en proposant tout un lot de décors, de costumes et autres accessoires en tout point crédibles. Sans compter que Besson s’est également offert les services de bons effets spéciaux numériques bien de chez nous et des services de son compositeur attitré Éric Serra, alliant le tout avec son énergie et son savoir-faire en matière de mise en scène pour livrer un film à la fois sensoriel, visuel et brutal. Mais encore une fois, toutes ces bonnes choses sont ternies par de gros défauts. Comme un montage quasi clipesque qui ne plaira pas à tout le monde, une mise en scène certes dynamique mais jamais percutante (à l’instar de la séquence du viol, incroyablement plate), un rythme non soutenu (après l’efficacité de la première partie du film, on passe à une dernière heure molle du genou) et un humour rigolo n’ayant cependant pas sa place dans ce style de projet (faisant plus penser à la partie médiévale des Visiteurs qu’autre chose). Encore une fois, Luc Besson s’est montré trop gourmand en s’attaquant à un tel film car, même s’il a su exploiter pleinement les moyens à sa disposition, le cinéaste n’a su pas le faire convenablement pour rivaliser avec les ténors du genre. Il suffit de voir la scène de la tentative de reprendre Paris par les Français, simple discussion mais qui pâtit d’une erreur de direction monumentale en arrière-plan : aucune bataille, des figurants qui se tournent les pouces, refont le même geste jusqu’à ce qu’on leur cri « coupez ! »… Rien qu’avec ce passage en tête, vous comprendrez alors que Luc Besson n’était pas prêt pour s’occuper d’un projet aussi spectaculaire et épique que Jeanne d’Arc.
Et si vous n’êtes toujours pas convaincus par cet aspect noir et blanc du film, attardez-vous sur le casting de celui-ci ! Une distribution internationale qui est parvenue à regrouper bon nombre de célébrités talentueuses comme John Malkovich, Faye Dunaway et Dustin Hoffman devant faire avec des interprètes français un peu à la ramasse (hormis les excellents Vincent Cassel et Tchéky Karyo). Mais tous se font piquer la vedette par Milla Jovovich, la célèbre Leeloo du Cinquième Élément. Une comédienne qui s’est plus faite remarquée que ses camarades non pas pour son talent mais plutôt par son manque de talent. Jovovich, qui doit sa place dans ce film au fait qu’elle était à l’époque l’épouse de Besson, surjoue comme pas possible. Elle va même jusqu’à hésiter dans son jeu d’actrice, ne parvenant pas à livrer la bonne émotion quand il faut. Un regard vide, des sourcils qui froncent de manière autonome et aléatoire, une bouche qui ne s’ouvre que pour hurler jusqu’à une extinction (rapide) de sa voix… c’est tout ce que vous retiendrez de cette interprétation !
Oui, Luc Besson avait toutes les cartes en mains pour faire un film historique de grande envergure. Oui, le réalisateur possédait bien des atouts pour livrer ce qui aurait pu être son meilleur film. Mais en voulant se mesurer à un projet des plus impressionnants, Besson s’est fait littéralement dépassé par ce dernier au point de ne jamais arriver à ce qu’il voulait initialement faire. Du coup, malgré les idées, les moyens et l’ambition, nous nous retrouvons avec un film bancal et qui donne surtout l’impression de n’avoir aucun aboutissement concret. Car après avoir vu Jeanne d’Arc, vous vous poserez cette question : « où Besson a-t-il bien voulu en venir ? »