Estampillé chef-d'oeuvre aux huit oscars, je me devais, fasciné que je suis par le génie de Mozart, de voir cette biographie consacrée, pensais-je alors, à dépeindre son existence. En réalité, comme tout grand réalisateur, Milos Forman a ses obsessions, celle de la folie avant tout autre, comme l'avait par exemple prouvé son plus grand succès public Vol au-dessus d'un nid de coucou. Le réalisateur tchécoslovaque s'approprie donc à sa façon l'histoire de Wolfgang Amadeus Mozart, et de sa supposée (légendaire ?) opposition avec le compositeur italien Antonio Salieri, aigri et envieux du talent de celui qui dit-on, aurait eu l'oreille absolue, une mémoire eidétique, composé son premier opéra à 12 ans et même écrit ses premières partitions à six. Forman trouve là un angle d'attaque idéal, car s'il finit par déformer l'Histoire, il rend de Mozart un image peut-être fantasmée et irréelle mais peinte sous des aspects neufs qui rendent une image non diminuée de sa grandeur en parallèle d'une tragi-comédie humaine saisissante, illustrant la petitesse de l'humain tant que la grandeur de son art, lui immortel. Amadeus est donc consacré à la musique de son virtuose de sujet, qui bien plus qu'illustrer l'image, se voit illustrée par elle. La mise en scène témoigne à ce titre d'un talent bluffant chez le cinéaste, et assume à merveille son propos, l'enrichissant sans cesse. Intrigue, musique, image se rencontrent non seulement entre elles mais avec des questions métaphysiques dans un ensemble qui finit par en devenir dantesque, faisait du film une chape englobant l'humanité entière et la ramenant à ses défauts, son imperfection, sa folie. Le tout habille le Vienne du XVIIIème (magnifiquement reconstitué) en un plateau d'échec dont moi, spectateur, me suis senti l'un des pions, amené contre mon gré à des constats douloureux sur mes propres imperfections, mon sentiment de petitesse renforcé à merveille par l'utilisation de l'immensité de l'oeuvre de Mozart et de la mystique qui entoure le personnage et la forme sous laquelle il est ancré dans l'imaginaire collectif. Je n'oublie pas non plus la jolie portée dénonciatrice de ce Amadeus, qui rappelle le traitement social réservé à l'artiste incompris. La solitude de celui-ci, différente dans le plébiscite ou dans le rejet, mais en tout cas témoin de la singularité de l'artiste, à travers lui de l'Homme en général, ne rend que plus beau ce pont entre tant d'âmes pourtant si différentes : l'art, qui dans sa forme la plus aboutie triomphe de tout : de la jalousie, des diktats sociaux, et même, inaltérable, du temps. Édifiant et saisissant.