Film ultra-mythique auquel ma jeunesse - et ma vertu, il va sans dire - ne m'avait pas encore permis d'accéder, le premier de la série, réalisé par Just Jaeckin (qui a à la suite d'Emmanuelle fait profession dans le genre... de manière assez triste, il est vrai). Il est évident que la vue de ce film passe par le crible mi inconscient mi culturel de la peste, n'est-ce pas, qui a atteint jusqu'aux tréfonds physiologiques de notre oeil bien contemporain, je veux dire la pornographie. Autrement dit, difficile de saisir aujourd'hui ce qui a fait le succès de ce film (près de 9 millions de spectateurs à la sortie de la France pompidolienne, merci encore une fois, ô Histoire, pour l'ironie) en 1974, post 68 et tout un tas d'idéaux révolutionnaires et libératoires dans la boîte à idées... Mais bon, cela dit, on perçoit sans mal l'effusion libératrice (pas d'équivoque) de ce film adapté du best-seller érotique d'Emmanuelle Arsan. Bon je redis le scénar pour les jeunes qui ne l'ont pas vu : à proprement parler il n'y en a pas, l'histoire se déroulant à partir d'un axe ma foi fort évident : il s'agit d'une exploration (non, ce n'est pas ce à quoi vous pensez !), pour une jeune femme que l'on suit du début à la fin du film, Emmanuelle, d'une découverte, d'une libération progressive quant à l'acte même de l'amour. Pour la faire vite (pas d'équivoque !), on part d'un axiome de départ ultra-admis, c'est-à-dire ultra normal (ou le normal vaut à fond comme norme, c'est entendu) : le couple hétérosexuel marié. Et progressivement, on fait éclater cette bulle initiale, par des rapports extra-conjugaux hétérosexuels et homosexuels. Tout y passe, pour rester correct.
Que dire sur les idées du film lui-même ? Et bien c'est quand même pas mal, ou ç'aurait pu être vraiment bien (malgré le cliché affiché du film, évidemment, qui ne peut que satisfaire toute cette population de pervers que nous sommes, d'une jeune femme sujette à tout un tas de pouvoirs). Parce qu'on passe du désir en tant que tel (désir barré, désir emprisonné, désir moralisé), à "du" pouvoir (polymorphe, pluriel etc.), c'est-à-dire qu'Emmanuelle se laisse guider, dans une sorte de grande danse ancestrale, par des Maîtres, femme ou homme, qui vont lui ouvrir des portes de vérité et de plaisir. L'exploration ne se fait pas sous le mode du savoir objectif, donc, mais sous l'aura d'un Maître de plaisir et de vérité,qui lui enseigne, en prenant en charge le corps d'Emmanuelle, la connaissance de son corps et de potentialités. Donc le plaisir n'est décuplé qu'à la condition de relations de pouvoir transitoires, de relations, devrions-nous ajouter, de pouvoir-savoir individuelles (Versus désir barré, désir libéré, il faudrait donc dire, suppression de l'axe du désir et ouverture à celui du plaisir-pouvoir). Ce qui est assez plaisant, c'est que ces relations de pouvoir sont mobiles et incontrôlables : dans le film, c'est le mari d'Emmanuelle, Jean, qui la pousse à connaître d'autres occasions de plaisir ; mais ces relations de pouvoir-savoir chamaniques de Maître à disciple transgressent et finissent pas complètement déborder l'intention initiale de Jean. Les relations de pouvoir, dans le film, finissent par avaler (non, pas d'équivoque) et dépasser l'instance normalisatrice constituée par le couple hétérosexuel marié.
Un mot sur la musique, qui à mon sens est parfaite : essentiellement deux musiques, celle de Bachelet, hyper-connue, mais qu'on n'entend finalement pas tant que ça, et une musique, alors là, chapeau, tout à fait exceptionnelle, en 5/4, avec des croches violentes pourfendant toute mélodie, et censée, c'est évident, marquer les moments d'excitation, d'accélération, de folie. Un 5/4 ! Un 5/4 ! C'est fou non ? Transgression de la norme musicale, de surcroît ! Donc du coup, deux atmosphères opposées, et en tout cas mises en opposition ou plutôt en convergence (parce que le 5/4 ne vit pas supprimer Bachelet, dans l'idée, mais se heurter aux limites qu'il représente, au cadre qu'il institue et perpétue, le 5/4 vient percer Bachelet (sans équivoque)) : la voix de Bachelet, chiante, gaie, paternaliste, douce, populaire, un peu relou, voix de la norme et de l'institution guillerette, et puis le 5/4, affreux, transgressif, agressif, violent, jouissif, brisant la continuité simplette de la norme et de la voix de Bachelet.
Bon ajoutons quand même des points négatifs, ne serait-ce que sur le plan du jeu d'acteurs, vraiment pas sensationnel (Jean, le mari à moustache par exemple interprété par Daniel Sarky), sauf peut-être Sylvia Kristel, évidemment, qui rehausse un peu tout ça. Notons la présence d'Alain Cuny qui joue le dernier Maître d'Emmanuelle (Alain Cuny quoi... !) Et puis la réa n'est quand même pas de la plus haute volée... Les paysages sauvent tout, et heureusement.
Bim, pour la musique et le plaisir, 15/20. Et ouais
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