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Fêtons le cinéma
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5,0
Publiée le 15 juin 2019
Une mer s’agite, des êtres s’agitent. Dans cette tension constante entre corps et décor, Jean Epstein transforme l’élément naturel en immensité tellurique dotée d’une voix et d’une présence physique autant lancinante que menaçante ; cette voix est produite par le ralentissement des sons que génère la mer, comme une entreprise dont le voyage résiderait dans la révélation du grand mystère à l’origine de tout, et contre lequel l’homme ne peut rien. Rien ? Seule l’imagination (la superstition encadre le récit) lui permet de rivaliser avec le chaos des forces environnantes, si bien que le fameux guérisseur des vents, figure inquiétante et sublime, cristallise dans sa boule les aléas de l’existence et la fatalité qu’ils font peser sur l’être. En accordant une place privilégiée aux voix – voix de la mer, chant de la mère, inquiétudes de la fille –, Epstein restitue le rythme de la vie intérieure de ses personnages et capte, par sa caméra, des fragments d’éternité saisis entre deux courses humaines, entre deux plans sur la machinerie infernale qu’est le temps du mortel. Et chacun de ces fragments prélevés apparaît comme une victoire : « dès maintenant, le cinématographe permet, comme aucun autre moyen de penser, des victoires sur cette réalité secrète où toutes les apparences ont leurs racines non encore vues », écrit le cinéaste. Le Tempestaire ventile l’espace-temps et fait de sa caméra un prolongement de son moi sensible, comme un poète creuse le vers au risque de n’y trouver que le néant. Car ici Epstein tire du chaos des forces en présence un souffle vital qui rappelle que le cinéma est avant toute chose un art en quête du grand mystère intrinsèque de l’homme au monde.
À la vision du "Tempestaire", il est difficile de dire si l'expérience relève d'un moment de cinéma proprement stupéfiant ou d'une hypnotique séance de magie. Tout fait événement dans ce court-métrage hors du commun, le moindre raccord, le moindre décalage entre le son et l'image, le moindre plan sur une mer déchaînée qui vaut comme personnage à part entière. Cet élément naturel est d'ailleurs si impressionnant que l'on pourrait se contenter de le contempler pendant des heures; cette dimension documentaire est mêlée à une fiction minimaliste et fantastique – une jeune femme demande à un tempestaire de calmer l'orage qui sévit et qui risque de tuer le jeune homme qu'elle aime, ce dernier ayant pris le large et naviguant sur des eaux dangereuses –, en apparence limpide mais dont le final crée un abîme interprétatif vertigineux. Epstein propose ainsi un moment visuel étourdissant et signe un double tour de force inouï : restituer un moment de réel spectaculaire tout en en faisant une expérience mentale, plastique et sonore inoubliable.
Court-métrage d'une vingtaine de minutes de 1947 du français Jean Epstein. Une jeune fille est inquiète, le vent se lève, souffle de plus en plus fort, la mer se déchaine au fur et à mesure. Elle décide de rendre visite à une sorte de magicien, un vieil homme capable de calmer la tempête. Les images sont hypnotiques, le son averti par le bruit du vent et des vagues. Un petit chef-d'oeuvre.