J'ai longtemps attendu avant de voir ce troisième épisode. A vrai dire je devais déjà avoir vu une dizaine de fois ses deux prédécesseurs avant de décider de me lancer. J'avais des craintes, d'abord le fait que l'opinion générale soit que c'est le plus faible des trois, ensuite l'absence de Robert Duvall, Tom Hagen étant l'un des personnages les plus intéressants après Michael et Vito. Et puis aussi l'absence de Nino Rota, et du coup la crainte que la musique s'appuie davantage sur les thèmes des films précédents que sur de nouveaux thèmes.
La scène d'ouverture est magnifique avec les images de la propriété du Lake Tahoe dévastée. Coppola pose le ton du film: on va avoir le droit à de la poésie macabre. Coppola voulait appeler le film "La mort de Michael Corleone", c'est un titre qui aurait convenu tant le film parle de la mort et par la photographie de Willis et les costumes de Canonero, Coppola crée une atmosphère qui va laisser progressivement s'exprimer la peur de la mort de Michael.
En parlant de photographie, mon premier grand bonheur en voyant ce film, c'est de retrouver l'atmosphère des précédents. J'avais oublié qu'indépendamment du scénario et des acteurs, un film où derrière la caméra on trouve Coppola et Gordon Willis se devait d'être vu par tout amateur de cinéma. On oublie souvent quand on salue cette trilogie de rappeler combien les gens qui ont travaillé dessus sont parmi les meilleurs de leur génération, qu'il s'agisse de Coppola et Willis mais aussi de Tavoularis (décors), Rota ou Walter Murch (montage). Ainsi comme ses prédécesseurs, Le Parrain est un film qui non content d'être parfait techniquement, est aussi très beau avec une magnifique utilisation des couleurs, des scènes très sombres, crépusculaires, et des scènes irradiés de soleil. Qu'est-ce que l'atmosphère du Parrain? C'est difficile à décrire. Mais par exemple quand les personnages se mettent à chanter à la fête au début du film, ou quand le fils chante une chanson à son père, cela nous rappelle l'omniprésence de la musique (Johnny Fontane, la musique de baptême dans le 1, la fête à Lake Tahoe, les cafés de Cuba, l'opérette que va voir Vito dans le 2). Il y a aussi la Sicile. Les airs de musique...En tout cas, en voyant combien ce style plait au cinéphile que je suis, je me rappelle ma principale crainte avant de voir Le Parrain 3: ne plus avoir d'autres film du Parrain à voir.
Pour ce troisième film, Coppola est libre. Et la première chose qu'il fait, c'est d'en finir avec l'influence du polar américain. Celle-ci a disparu dans ce troisième épisode à l'exception de la scène d'Atlantic City, à propos de laquelle on peut penser que Coppola s'est moins investi que sur la scène à l'opéra. Il se contente de servir au public sa dose d'action et de faire avancer son histoire, mais on sent que ce n'est pas l'action qui l'intéresse. Ce qui intéresse Coppola, c'est les personnages, et la corruption du pouvoir. Après la police de New York, puis les sénateurs américains, voici l'Eglise. Là où il y a pouvoir, il y a corruption, il y a crime. Le constat de Coppola est implacable et appuyé sur des faits réels (un scandale à la banque du Vatican), il est très convaincant. Coppola signe une œuvre crépusculaire, avec des accents de nihilisme. Et c'est là qu'on comprend son choix de dépoussiérer son œuvre.
Et dépoussiérer est le mot juste. Coppola revient à son œuvre la plus célèbre et dépoussière, il remet sa caméra au même endroit et montre les effets du temps d'abord sur les visages de Pacino et Keaton. Le temps a passé. Les personnages sont à la recherche d'une seconde jeunesse ou d'une rédemption qui n'existe pas. Pacino voudrait légitimer ses affaires mais il laisse finalement Vincent prendre le contrôle des affaires familiales, acceptant donc l'idée qu'un reglement de compte final est indispensable. S'il y a un personnage marquant de l'histoire du cinéma auquel Pacino fait ici penser, c'est le prince Saline du Guépard et Vincent serait son Tancrède. D'ailleurs tout le film est marqué par l'infuence de Visconti. Michael renvoie à Salina mais aussi au compositeur de mort à Venise qui voit le monde une dernière fois. L'opéra renvoie à Senso et sa scène d'ouverture ou au bal du Guépard, interminable séquence pendant laquelle le héros comprend qu'il a échoué. Et le Parrain dans son ensemble renvoie à Rocco et ses frères, le drame commençant quand le père doit s'effacer. Enfin, Coppola offre un rôle à Helmut Berger, muse de Visconti.
Le Parrain 3 est donc un film sur l'impossibilité de revenir en arrière. Plus que jamais la famille Corleone apparait comme une famille de tragédie grecque, maudite telle les labdacides ou les atrées, qui commet des crimes et en paye le prix. Connie devient presque une oracle et incarne un personnage à ce point propre au mythe qu'il en serait presque étrange au cinéma, un personnage qui organise les meurtres, et défend la famille en poussant les autres à commettre des crimes, tel Eve ou la mère de Salomé dans la Bible, tel Catherine de Médicis dans la reine Margot. Vêtue de noire, elle annonce le drame final, et le plan où elle recouvre son visage du voile de deuil est un des plus saisissant d'un final qui ne manque pas de plan marquant. Le personnage de Vincent n'est pas intéressant en lui-même mais en ce qu'il rappelle de Michael, de Vito et de Sonny. Il est ambitieux, calculateur, sans état d'âme, bagarreur, d'une fidélité sans faille à la famille. Anthony incarne le fils qui réussit à s'en sortir, tandis que Mary deviendra la martyr de la famille, renvoyant aux plaies d'Egypte, au massacre des innocents, et à plein de mythes grecque, où l'innocence paye pour les crimes de ses pairs.
Sofia Coppola livre une performance loin d'être aussi mauvais que ce que j'avais entendu, et sans mériter d'oscar, elle n'affaiblit aucune de ses scènes et n'ayant pas d'autre grand rôle à son actif, elle devient assez facilement Mary Corleone dans l'imagination du spectateur et est donc très crédible. Talia Shire livre sa meilleure performance de la trilogie, Andy Garcia n'est pas autant une révélation que Pacino ou De Niro dans les précédents volets, mais il est tout de même très bon, tout comme Keaton, qui comme dans les précédents volets montre qu'elle est bien plus qu'une actrice de comédie. On peut cependant regretter que les méchants ne soient pas aussi marquants que Barzini ou Fanucci.
Le Parrain 3 est un digne héritier de ses prédécesseurs et un grand film, qui vient conclure peut-être la seule trilogie dont les trois films soient radicalement différents les uns des autres tout en racontant la même histoire et sont tous des chefs d'oeuvre.
A noter la première scène, la confession de Michael, Kay et Michael qui visitent Corleone (magnifique plan de l’église où ils jaillissent soudain au premier plan) et tout le final à l'opéra.