Dans la liste des grands classiques du 7e art que j’ai mis un temps fou à voir, "Danse avec les loups" était l’une de mes pires hontes. Il faut dire que je ne suis pas un inconditionnel de la culture indienne et que la durée de 3h44 de la version longue (désormais seule disponible) suppose d’avoir, quand même, un peu de temps libre pour se mettre dans l’histoire. C’est désormais chose faite et, surprise, le film ne souffre pas du problème de lenteur que je craignais. Car, pour sa première réalisation, Kevin Costner s’est visiblement inspiré des grands réalisateurs d’antan (à commencer par David Lean), et s’est, ainsi, attaché à bien poser son histoire dans le temps et, surtout, à l’installer dans des paysages somptueux qui se voient magnifier par la formidable BO de John Barry (qui signait là sa dernière partition légendaire). Il souffle sur ce "Danse avec les loups", un souffle épique que peu de films sont parvenus à retrouver depuis. Outre, les paysages, on se prend d’admiration pour le souci de reconstitution de Costner mais aussi pour le ton qu’il a choisi d’adopter. En effet, on est loin du manichéisme des westerns classiques (avec les gentils cow-boys et les méchants indiens) mais on ne se trouve pas non plus devant un plaidoyer béat pour la cause indienne contre l’envahisseur blanc. Même si on sent bien que le cœur du réalisateur penche davantage du côté de la tribu sioux, il faut saluer son refus de généralisation idéalisée de la culture amérindienne (avec l’intervention des sanguinaires pawnees, qui rappelle que, comme chez les Blancs, il y a des pacifiques et des barbares) et surtout, son souci de bien mettre en exergue les différences culturelles évidentes sans, pour autant, en faire des barrières infranchissables. Une reconstitution qui force le respect, donc, mais également une interprétation épatante composé, pour l’essentiel, d’indiens inconnus tels que le sage Graham Green en sage de la tribu, Rodney A. Grant en charismatique Cheveux-aux-Vents ou encore le jeune Nathan Lee Chasing His Horse en intrépide Sourit-beaucoup. Le casting occidental marquera moins les esprits, à l’exception, peut-être, de l’étonnante Mary McDonnell dont le regard si particulier révèle tous les tourments de son personnage de Blanche adoptée par la tribu et de Maury Chaykin qui, en une scène, résume l’horreur de la guerre de Sécession. Quant à Kevin Costner, on comprend que ce film l’ait propulsé au rang des plus grandes stars hollywoodiennes de l’époque. De pratiquement tous les plans, l’acteur ne cesse d’accompagner le spectateur dans cette découverte du monde indien et, à l’image de son intrigue, s’y montre d’une appréciable sobriété. Cette interprétation, tout en humanité et en économie (qui deviendra sa marque de fabrique), permet à ses partenaires de briller mais, également, au public de se prendre d’affectation pour ce héros solitaire en plein dilemme intérieur. A ce titre, le choix de faire s’exprimer le personnage par le biais d’une voix off lisant son journal intime (procédé qui a tendance à me gonfler habituellement) vient renforcer l’immersion du spectateur et confère au récit une dimension littéraire très plaisante (même si la voix française de l’acteur, assuré par Jean-Marie Winkling, et non pas l’habituel Bernard Lanneau, est déstabilisante dans un premier temps). Autre point fort, la scène d’ouverture qui est une grande réussite puisque, d’une part, elle situe immédiatement le personnage (qui préfère la mort à l’amputation et se voit condamné à survivre) et, d’autre part, elle s’inscrit en rupture avec le reste du film qui, exception faite de sa conclusion (qui coïncident avec le retour des Blancs), est beaucoup plus apaisé et contemplatif, dans le bon sens du terme. Par cette rupture de rythme, Costner enfonce le clou de la différence entre les deux peuples de façon, là encore, très subtile… même s’il s’oublie un peu lorsqu’il dresse des Blancs, un portrait final particulièrement peu flatteur. En effet, en faisant des soldats de la relève des ivrognes incultes et violents après avoir passé près de trois heures en compagnie d’indiens bienveillants, Costner perd un peu de la mesure dont il avait fait son credo jusque-là. J’ai trouvé, ainsi, le plan sur les cadavres de bisons privés de leur fourrure était beaucoup plus évocateur de l’incompréhension entre Blancs et Indiens qui ne peuvent pas comprendre comment une telle quantité de viande peut être laissé à l’abandon. Cette conclusion un peu manichéenne reste, cependant, l’un des grands morceaux de bravoure du film qui avait sans doute besoin de s’achever sur une telle note pour définitivement faire passer le message foncièrement écolo d’un réalisateur qu’on découvrait, alors passionné par le grand Ouest américain et la culture amérindienne. Comment lui reprocher, dès lors, d’avoir finalement choisi un camp qui s’inscrit, en outre, dans la parfaite continuité du héros, fatigué de la civilisation moderne et désireux de revenir à l’essentiel ? "Danse avec les loups" est, par conséquent, un très beau film à l’ancienne comme Hollywood ne sait (ne veut !) malheureusement plus en faire et restera comme le coup de maître d’un réalisateur qui se voit récompenser de son invraisemblable audace.