Plus que toute autre chose, revoir ce film est une belle occasion de rendre hommage à l'un des plus grands directeurs photo de l'histoire du cinéma, Mister Jack Cardiff. Le plus beau peintre du Technicolor naissant, pour Michael Powel, Hitchcock, Mankiewicz...Il faudrait encadrer à jamais son travail d'orfèvre sur "The black narcissus", pour ne retenir qu'un film. Ici, il magnifie une mise en scène très narrative, très sobre, de John Huston, semant ses petites touches de couleurs vives au milieu des camaïeux de verts de la forêt et des roseaux. Un Huston dans une phase "heureuse" qui raconte une belle histoire toute simple. Deux quadragénaires bien typés (mais pas du tout caricaturés) que tout semble opposer se découvrent, s'apprivoisent et vont s'aimer parce que pendant leur odyssée, ils se seront comportés comme deux gamins. Ils ne cherchent pas l'aventure mais refusent la prudence et Charlie a promis l'insensé : descendre une rivière qui ferait passer celle de "Délivrance" pour le Canal du Midi, et torpiller un bateau de guerre avec deux bouteilles, trois clous et un peu de poudre. A l'âge qu'ils se donnent alors, 12 ou 13 ans, une promesse, ça se tient. Et comme c'est impossible, ils le réalisent en riant de leurs déboires, qu'ils soient moteur cassé, rapides en furie, légion de moustiques, sangsues affamées. Charlie ne sait même pas quelle guerre se joue en Europe, Rose n'entend qu'une chose : l'Angleterre est concernée, donc ils doivent la défendre. C'est toute cette simplicité, cette évidence de leur comportement qui les rend magnifiques. Avoir su rendre cette insouciance, cet enthousiasme lors d'un tournage plus que difficile frise l'exploit. Mais Huston pouvait tout faire avec un Bogart prêt à tout dans l'auto-dérision, et une Hepburn comme toujours sublime. Fausse vieille fille qui n'a pas perdu l'espoir (voir sa façon d'arranger ses cheveux quand Charlie revient à la mission, peu après la mort de son frère), et qui sait comme personne incarner la gamine qui sommeille dans un corps déjà bien charpenté (souvenons-nous de ce qu'elle offrait dans "L'impossible Monsieur Bébé"...). Huston/Cardiff/Bogart/Hepburn composent une bien belle partition en forme d'hymne à la joie.
Mais je ne peux que demander aux tristes sires qui déplorent le prétendu colonialisme des premières scènes de chausser très vite d'autres lunettes. Celles de l'idéologiquement correct qu'ils ont sur le nez ne font que polluer leur regard...et les empêchent de pleinement jouir de cadeaux comme celui-là.