Le projet faramineux et ambitieux d'Abel Gance de raconter la vie de Napoléon s'arrête, faute de moyens, après 5h33 d'un récit épique, au début de la campagne d'Italie. On est, malheureusement pour Gance, bien loin du compte et son "Napoléon" aurait dû s'intituler, sans ironie, "Bonaparte". A la fin du film, je ne peux m'empêcher d'imaginer le film-fleuve magistral que le cinéaste aurait produit s'il l'avait pu, et je ne doute pas qu'il aurait basculer dans le cinéma parlant.
Je me suis lancé dans ce film au long cours par devoir et curiosité de cinéphile et je laisse le soin aux historiens du cinéma de relever tout ce qui a pu caractériser la virtuosité, les prouesses et les innovations de Gance. Pour ma part, j'admets volontiers que le mode narratif de ce film muet ne m'a pas happé. (Notez bien que le dernier "Napoléon" de Ridley Scott m'a paru bien en dessous et bien bien mauvais malgré sa technologie.)
Le coloriage des scènes (rouge pour les séquences violentes, jaune pour ce qui a trait à la Révolution, violet pour une séquence de bacchanale...et la nuit de noce de Napoléon et Joséphine) m'a même paru une fausse bonne idée dans la mesure où la copie du film est beaucoup plus agréable dans un noir et blanc classique
Le film s'ouvre sur la fameuse et longue bataille de boules de neige à Brienne dans laquelle Abel Gance détecte déjà les talents militaires de tacticien et de meneur d'hommes de l'adolescent Napoléon Bonaparte. C'est, dans sa candeur et sa réalisation, une des plus belles séquences du film à mon sens. Il y a une volonté affirmée de montrer un jeune cadet prédestiné à la gloire.
Abel Gance ne cache pas plus longtemps son admiration pour Napoléon qu'il n'hésitera pas à filmer plus tard, en Corse, comme un messie que la France attend, en dépit qu'il n'est encore qu'un modeste capitaine de l'armée. Gance filme son héros comme une figure hiératique que son génie place au dessus de la mélée. Pour autant, le cinéaste n'ignore pas la Révolution qui suit son cours et il filme de larges scènes relatives à Danton et à Robespierre (une vraie gueule de psychopathe!), au épisodes de Thermidor et de Vendémiaire.
Gance déploie de gros moyens, une foule de figurants, des costumes à foison, et en définitive, les capacités techniques de l'époque et la qualité de la copie ne rendent pas grace à la mise en scène d'envergure de Gance. Ainsi, l'homérique bataille du siège de Toulon, sous la pluie et dans la boue, est un des moments forts du film dont on ne ressent pas l'intensité faute de sons et d'images harmonieuses.
Toutefois, l'utilisation, dans la toute dernière partie du film, à l'aube de la campagne d'Italie, d'une image en triptyque est impressionnante; elle donne une largeur aux scènes qui annonce le Cinémascope; elle multiplie aussi les points de vue de l'action, renforçant l'impression d'épopée et accentuant la puissance allégorique recherchée par Abel Gance, exalté par son patriotisme et par son hagiographie.
Observons, pour l'ironie de la chose, que ce sont les anglais qui ont restauré le film...