Un chef d’œuvre superbe et bouleversant qui, comme «Joyeux Noël» de Christian Carion, raconte des faits aussi réels que les nombreuses fraternisations entre «ennemis» de la même guerre. Mais là il s’agit d’identifier les quelque 350.000 soldats morts ou disparus, et de choisir celui qui figurera sous l’Arc de triomphe ! Le décor est si vrai qu’on croirait le film tourné en 1920. Bertrand Tavernier campe ses personnages : le commandant chargé d’identifier, avec un matériel sophistiqué les cadavres, superbement incarné par Philippe Noiret — son meilleur et son plus grand rôle —, une aristocrate, fille de sénateur, en limousine avec chauffeur, qui prétend avoir priorité pour retrouver le corps de son mari, remarquablement jouée par Sabine Azéma, et une modeste jeune femme, Alice — Pascale Vignal — qui cherche le corps de son fiancé, sans appui ni soutien. Tout autour les vautours qui s’offrent à aider les endeuillés pour leur soutirer de l’argent. Les acteurs sont si parfaitement habités par leur personnage, le décor est une reconstitution si méticuleuse qu’on a l’impression de se retrouver sur la Marne, en Champagne dont le vin fut irrigué du sang des victimes. En 1945, on trouvait encore toutes sortes de débris de la Guerre 14-18, fusils, casques, douilles, dans les champs. L’idée de mettre en scène cet épisode peu connu de l’identification des morts et du choix du «soldat inconnu» est un trait de génie de Tavernier. La scène stupéfiante de la sélection du choix du cercueil a été reconstituée à l'identique, dialogues compris. Tavernier a eu bien du mal à trouver des producteurs pour réaliser son film, mais il a eu le soutien de René Cleitman. Le sujet lui tenait à cœur et, sans céder aux effets — il n’en avait pas besoin, le sujet suffisait —, comme s’il s’agissait d’un reportage, il en a fait un chef d’œuvre, qui illustre de façon bouleversante le mot d’Anatole France : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les pour les industriels ».