Disclaimer : Malgré le fait que certaines parties du texte soient cachées par une bannière spoiler, la trame du film peut vous être indirectement dévoilée dans cette chronique : il est en effet impossible de faire une critique complète du long-métrage sans revenir sur sa seconde heure.
Nombreux ont déjà rencontrés ce problème : vous êtes installé devant votre téléviseur, vous vous décidez d'ouvrir votre plateforme de vidéo à la demande préférée et d'enfin visionner ce *Parasite* que tout le monde vous recommande dernièrement. Et là, stupéfaction à la lecture du résumé de l'œuvre : vous découvrez qu'en réalité le dernier long-métrage oscarisé raconte les aventures d'un petit ours péruvien tentant de s'intégrer tant bien que mal dans une famille londonienne. En bref, il y eu une confusion entre le pitch du film de Bong Joohn-ho et celui des péripéties de *Paddington*. A première vue, on pourrait conclure qu'on se retrouve devant cette même erreur technique si on sélectionne par la suite *La vie est belle* (*La vita è bella* dans la langue de De Vinci) : impossible en effet que cette oeuvre propose une plongée dans l'enfer des camps de concentration avec un titre aussi joyeux et une aussi mignonne affiche ! Et pourtant ici, aucune méprise, ni même aucune publicité mensongère : Roberto Benigni délivre exactement ce qu'il promet.
La première partie pourrait d'ailleurs nous conforter dans notre idée de se retrouver devant un énième bug de la plateforme : durant près d'une heure, nous suivons les mésaventures de Guido Orefice, véritable clown, ou même Polichinelle, moderne. Il est hautement excentrique, facétieux, rusé, insouciant mais également fieffé menteur ainsi que quelque peu réfractaire à l'autorité. Écoutant plus ses sentiments que sa raison, il est toujours prêt à mettre son intégrité en péril pour la femme qu'il aime et, plus tard, pour son fils. Benigni consacre 100 % de son énergie à donner vie à ce personnage, gesticulant dans tous les sens afin de lui donner un dynamisme physique formidable. On se prend par voie de conséquence très vite d'affection pour le trublion, ce qui rendra la suite des événements d'autant plus amère. On a le sourire facile devant ses péripéties, alors qu'il tente de séduire sa princesse, Dora (incarnée par Nicoletta Braschi, la véritable épouse à la ville du réalisateur/acteur/scénariste). Forcément un peu plus effacée face à la tempête que constitue Guido, elle reste un protagoniste marquant : présentant un caractère aussi spontané que plus strict, elle partage avec son mari un rejet manifeste de l'autoritarisme, caractérisé par un hoquet qui sera repris par sa descendance.
Durant cette première heure, on se laisse donc glisser avec plaisir dans cette charmante petite fable, en oubliant presque l'inévitable tragédie qui se profile à l'horizon. Certes, les avertissements sont bien là mais, à l'instar du personnage principal, nous préférons les laisser de côté pour l'instant afin de nous concentrer sur les événements burlesques survenant à l'écran. Mais la réalité nous rattrape, de la manière la plus brutale possible :
Guido et son fils sont déportés sans sommation, alors même que le film semblait quelques instants auparavant préparer son audience à une retrouvaille paisible avec la grand-mère maternelle.
C'est à ce moment que commence la seconde partie de l'œuvre, sorte de miroir déformé de la première heure à laquelle nous venons d'assister. Ainsi, le film fait toujours usage d'une poignée de quelques décors récurrents et assez larges. Cependant, alors que les rues de la ville italienne étaient ensoleillées, pleines de vies et très ouvertes ; le camp de concentration est au contraire lugubre, froid et a un aspect résolument fermé (il se transformera même le temps d'une scène en véritable enfer, avec un gigantesque brasier ardent en son centre). La délicieuse musique de Nicola Piovani, au départ véritable hymne à la joie lors de la séquence d'introduction, devient de plus en plus mélancolique
Le scénario transmet également cette idée de connexion entre les deux parties du long-métrage : les pieds de nez du personnage principal aux figures du totalitarisme, au départ dénués de conséquences (il ne seront d'abord suivis que de légères courses poursuites), sont à présent lourds d'enjeu de vie ou de mort. Certaines répétitions comiques prennent également un tout autre sens au sein de cet environnement funeste :
l'obsession du docteur Lessing pour les énigmes passe d'une caractéristique amusante d’un homme extravagant à un reflet de son égoïsme primaire et de son manque de considération de la race humaine. Mais l'exemple le plus illustratif de ce thème de reflet lugubre peut sans conteste se retrouver dans les deux événements clés de la vie du sympathique libraire : la naissance de son fils, et sa propre mort. Dans les deux séquences, qui arrivent juste après un acte de courage pour protéger un être aimé, un couple de personnages rentrent dans une allée dont l'issue est cachée au public. L'une est remplie de fleurs symbolisant la vie, l'autre est froide et austère. Dans la première séquence, trois personnes ressortent du couloir ; à l'inverse, dans la seconde, ne ressort que le soldat allemand, symbole de la mort.
Pour autant, le ton du long-métrage n'effectue pas de virement à 180 % lors de son second acte. Malgré son cadre très lourd, on reste dans le registre de la comédie légère sans jamais tomber dans le drame et le pathos. Et c'est finalement cet aspect qui fait toute la force de l'œuvre. Le film est d'autant plus tragique car on connaît le personnage au centre de cette catastrophe, et que celui-ci se comporte comme il l'a toujours fait, protégeant son fils par ses mensonges, ses astuces et son espièglerie naturelle. Benigni et Vincenzo Cerami, le co-scénariste, ont en effet bien compris qu'il n'y a rien de plus déchirant que de voir souffrir un personnage avec lequel on a ri et, par voie de conséquence, auquel on s'est attaché.
Ce ton plus spirituel sied également au message central de ce lauréat des oscars cru 1997. Le film ne s'attache en effet pas à retracer les horreurs du nazisme : nombreux ont d'ailleurs fait remarquer que la retranscription de la vie des camps n'était pas entièrement fidèle et que certaines des horreurs vécues étaient par ailleurs quelque peu minimisées. Benigni est plus intéressé par le fait de donner un visage aux victimes de l'holocauste, ainsi que par la transmission d'un message d'espoir et d'humanité. En montrant un personnage faisant preuve d'un tel courage et d'optimisme dans ce qui se rapproche le plus de l'Enfer sur terre, il donne un véritable sens à son titre, au premier abord inapproprié. La vie est dure, et peut même être horrible et tragique par moment mais il y a moyen de toujours conserver cette possibilité d'en tirer une petite étincelle de joie et d'espérance, comme le désir de gagner un tank. Symboliquement, les nazis n'ont jamais pris le dessus sur Guido : tous leurs actes de cruauté n'ont jamais réussi à anéantir son imagination fertile et son amour pour son fils et sa femme.
Pour finir, La vie est belle s'ouvre d'une manière douce et innocente pour basculer, mais sans changement trop brutal de ton, sur un des événements des plus tragiques de notre histoire européenne. Les deux parties du long-métrage sont tant différentes qu'indissociable, représentant bien le mélange doux-amer caractérisant la totalité de l'œuvre. Benigni a opté pour un parti pris aussi nécessaire que risqué, et l'on peut conclure en disant que le pari est bien réussi !