Spoilers sur La Ligne Rouge, The New World et Days of Heaven
Ce qui me séduit le plus dans le cinéma de Malick, c'est sa simplicité. Bien sûr il ne s'agit que d'une simplicité apparente, on n'arrive pas à un tel résultat aussi facilement que ça. Malick ingère des tonnes de références, qu'elles soient liées à la peinture, au cinéma, à la religion ou à l'Histoire, et parvient à destructurer cette matière complexe en quelque chose d'accessible, réduisant le tout à un ensemble auquel se connecte aisément le spectateur. Il y a un échange évident entre le film et ceux qui le voient, parce que ceux qui le voient retrouvent ici des sensations pures, de celles qu'il n'a pas vraiment l'habitude d'expérimenter au cinéma. Et surtout parce que tout paraît simple, sans fioritures, direct. Ainsi, Les Moissons du Ciel, film au scénario anodin, qui ne fait que prouver qu'au cinéma, on peut avoir 150 fois la même histoire, ce qui fera la différence est la vision et l'âme du metteur en scène. Celles de Malick sont d'une profondeur rare.
La mise en scène des Moissons du Ciel n'a qu'un défaut, qu'elle partage avec le montage du film : la rapidité avec laquelle les choses se déroulent. Je dirais que cela est plus problématique d'un point de vue global, quand on constate que Malick a décidé de faire de l'ellipse une récurrence des Moissons. Il y a dans ce film une manière précipitée de faire se passer les choses, et cela empêche sûrement la mise en place d'une certaine émotion. Les Moissons peut paraître un peu froid quand il décrit les sentiments de ses personnages, tout simplement parce qu'il ne prend pas vraiment le temps de les ausculter. Plus tard, La Ligne Rouge et Le Nouveau Monde répareront cette erreur en scrutant plus en détail les états d'âme de leurs personnages. Quand on compare la relation entre Adams et Gere à celle qui unit Farrell à Kilcher, on ne peut s'empêcher de constater que la seconde est un des moteurs principaux du film quand la première n'a l'air que d'un prétexte. Malick, déjà cinéaste de la nature dans les années 70, oui. Mais pas encore totalement de la nature humaine, même si les germes sont bien présentes.
C'est donc là le seul défaut d'un film, qui n'a l'air que d'un détail quand on s'aperçoit, les yeux grands ouverts, ce qu'il nous propose d'autre. Soit une lecture dense et riche de l'Histoire américaine - malgré l'apparente simplicité du projet - enveloppée dans une mise en scène somptueuse d'intelligence et d'audace. Ce qui frappe fort dans les Moissons, c'est la sensation de toucher à la grâce et au sublime par le biais d'une mise en scène esthétiquement bouleversante, spirituellement déchirante parce que, de plus, on a la sensation de ne jamais avoir vu ça. Mieux - et non pas " pire " - on a surtout l'impression qu'on ne reverra plus jamais ça chez aucun autre cinéaste, faisant de nous les témoins privilégiés de ce qui n'arrive qu'une fois ou deux par siècle dans le septième art : un véritable miracle. Clairement, la mise en scène chez Malick se passe de commentaire analytique, et c'est proprement le genre de choses qu'il faut voir de ses propres yeux au lieu d'en chercher des explications ici et là. Et quand on l'a vue, pourquoi perdre son temps à tenter de trouver les mots puisqu'on sait qu'aucun d'entre eux ne sera assez fort et précis pour en déceler la moindre subtilité ?
Je finis sur l'histoire, hyper classique donc ( et légérement décevante ). Sauf que Malick a l'intelligence de proposer une somme de références. Références à la peinture donc, à la littérature américaine, à la Bible, qui confèrent au film une dimension supplémentaire, un aspect plus fouillé, complexe, beaucoup plus mythique, concluant un discours sur la fatalité ( la reprise de la pluie de sauterelles de la Bible, magnifiquement filmée de haut l'espace d'un instant. Il y a quelque chose de plus puissant que l'être humain...) qui accompagne intelligemment la vision dans le film d'un paradis basé sur le vice et le mensonge, et qui irrémédiablement finira par s'écrouler. Parlez-en à Jim Caviezel et Colin Farrell...