Malick est, avec évidence, un de mes cinéastes préférés, mais, assez paradoxalement, je n'attendais rien de ce "Les Moissons du Ciel". Sans réelle raison qui plus est, car ça avait parfaitement l'air dans le même esprit que "Le Nouveau Monde", avec un triangle amoureux, un relation mise à mal par les différences, culturels "dans Le Nouveau Monde" et social dans ce celui-ci, entre les protagonistes. Bref, j'espérais quelque chose d'au moins beau, c'est le minimum pour un Malick, et c'est le cas, mais le film échoue là où le cinéaste est pourtant habituellement le plus à l'aise : émouvoir.
C'est gros point noir du film, son incapacité à créer et transmettre l'émotion, en majeur partie dû aux trop nombreuses ellipses du montage. On a rarement l'occasion de voir la vie de ces personnages, les voir interagir, sauf quand cela est nécessaire à déployer le drame et la tension entre les protagonistes. Impossible de s'attacher aux personnages si ils ne vivent pas en dehors de l'avancée du récit.
Surtout que ce dernier peine à être compréhensible avec les interventions incessantes de la voix-off, élément important de la filmographie du cinéaste, qui ne trouve malheureusement ici aucune pertinence et nous fait qu'alourdir inutilement la narration.
Après, ça reste du Malick, avec ce que ça implique de beauté. Et sur ce point le métrage est irréprochable, il est baigné dans cette ambiance crépusculaire, où chaque plan sur un couché de soleil est annonciateur de drame, la photographie est indéniablement sublime. Surtout que la mise en scène suit, cette manière de filmer le feu a rarement été vu, de même que pour la nature, le plan des sauterelles qui prennent leur envol est un pur moment de grâce. Le cinéaste sait faire comprendre l'évolution entre les personnages sans un mot, juste par un regard et un mouvement de caméra à l'image de ce moment où Bill comprend les sentiments de Abby envers le fermier, elle le regarde sans dire un mot et pourtant on saisit autant que lui l'évidence.
Puis, bien qu'il traite encore des thèmes qui lui sont chers tel que l'amour et ses dangers ou la liberté source de délivrance, il se permet d'en aborder de nouveaux comme l'industrialisation ou l'exploitation de la classe ouvrière "Ils n'ont pas besoin de vous, si vous partez d'autres prendront votre place".
Les Moissons du Ciel est un film imparfait, son incapacité à émouvoir ainsi que sa narration lourde rend difficile l'implication dans le récit. Toutefois le film est visuellement d'une beauté inouïe et les diverses pistes réflexives s'insèrent sans mal dans l'oeuvre de Malick. Un film aussi froid émotionnellement que solaire visuellement.