C'est le cinquième long-métrage de Francis Ford Coppola, ou disons le quatrième et demi. Le réalisateur n'est que partiellement l'auteur de Tonight for Sure (1962). Ont suivi Dementia 13 en 1963 (un film d'épouvante), Big Boy en 1966 (une comédie) et La Vallée du bonheur en 1968 (une comédie musicale, la dernière de Fred Astaire). Ayant fait ses armes dans la compagnie de Roger Corman (tout comme Scorsese), Coppola a donc connu un début de carrière hétéroclite... auquel participe ce film, Les Gens de la pluie (1969), puisqu'il appartient à un genre encore différent : le drame intime et social, format road-movie, typique du Nouvel Hollywood. Le tournage s'est effectué en équipe réduite, dans des décors naturels, avec le souci de coller au quotidien gris, erratique, de personnages en marge de l'american way of life. Outre quelques scènes un poil sophistiquées en termes de mise en scène (avec effets de miroir ou jeux d'ombre et de lumière), le réalisme l'emporte : simplicité d'approche, caméra parfois à l'épaule, image dépouillée. Quand on sait le tour qu'a pris ensuite le cinéma de Coppola, avec des films comme Le Parrain (1972) ou Apocalypse Now (1979), caractérisés par une ampleur romanesque, voire une démesure, et des recherches techniques et stylistiques poussées, ces Gens de la pluie apparaissent comme une vraie curiosité.
Rare et méconnu, ce film vaut pour sa sensibilité, réellement touchante. On avance cahin-caha aux côtés de deux êtres perdus et décalés, chacun à leur façon : le personnage de Natalie (Shirley Knight), coincée entre ce qu'elle ressent comme une pression sociale (ses "devoirs" d'épouse et de future mère) et un désir d'indépendance ; le personnage de Jimmy "Killer" (James Caan, en contre-emploi), ex-héros de foot US, diminué mentalement à la suite d'un accident, abandonné à lui-même, méprisé voire abusé à cause de sa docilité et de sa naïveté. Dans leur histoire commune, à ces deux-là, il y a un je ne sais quoi de Steinbeck, une relation et des sentiments qui rappellent Des Souris et des Hommes. Certaines scènes sont assez déchirantes. Mais le film vaut aussi, en contrepoint de ces errances individuelles, pour le tableau qu'il brosse d'une Amérique conformiste, égoïste, cruelle. C'est la critique d'un moule social vaguement liberticide, en dehors duquel il ne semble y avoir guère de salut pour des êtres fragiles et différents.
On peut regretter que le tissage narratif soit un peu étiré et inégal, remarquer ici où là des maladresses formelles (les flash-back), un côté un peu cheap parfois, mais l'ensemble convainc par la façon, fine et amère, d'aborder une certaine forme de confusion psychologique et identitaire (le personnage de Natalie emploie la première ou la troisième personne pour parler d'elle-même), un désarroi social, une désespérance noyée de solitude.