« Bonté divine ! » Se peut-il qu’à l’occasion de son avant-dernier film, le regretté Louis Malle ait renoué avec ses thèmes favoris ? Si c’est le cas, il sera relativement aisé de les identifier en regardant "Fatale" : la passion charnelle (ça saute aux yeux), les tabous (ça parait logique) et, moins évident, les mœurs de la grande bourgeoisie. Attention, ce dernier point est à prendre avec des pincettes, dans le sens qu’il ne faut pas en faire une généralité, bien que quelques politiciens aient déjà été pris par la patrouille. Trente-quatre ans se sont écoulés depuis le scandale "Les amants" avec Jeanne Moreau. C’était en 1958… Ça fait un sacré bout de temps ! Le temps nécessaire pour se faire oublier en signant des films plus sages ? Ou… plus conventionnels ? Se faire oublier parait cependant une expression un peu forte en regard de la filmographie du cinéaste. Entre temps, il est quand même revenu sur le devant de la scène avec un long métrage en particulier qui a marqué les esprits, je veux bien évidemment parler de "Au revoir les enfants" (1987). Mais revenons-en à "Fatale", puisque c’est ce qui nous intéresse. A travers ce film, Louis Malle met en scène une liaison secrète et torride entre un politicien britannique père de famille,et la fiancée française de son fils. Sans concession, il raconte une nouvelle histoire d’adultère, certes sous haute tension, sans toutefois porter de jugement moral ni sur son héroïne, ni sur le ministre anglais. Encore que, chacun se fera sa propre idée là-dessus tant il est probable que le titre français puisse exercer une certaine influence. En revanche, le titre original "Damage" est plus juste car il témoigne du fracas tragique dans lequel vont être précipités les protagonistes. Eh oui… la tragédie est quelquefois la résultante d’une passion dévorante à vous en faire perdre la raison. L’interprétation des deux acteurs, la mise en scène, la rythmique et la musique ont vite fait de rendre le film hypnotique. Le spectateur se voit placé dans une position d’attente : en dépit d’un scénario d’une simplicité absolue, il veut savoir comment cela va se finir. Le voilà pris au piège ! Chers lecteurs, chers abonnés, vous n’êtes pas seuls : j’ai également été pris dans ce tourbillon d’une rare intensité. Et il y a de quoi : Anna (Juliette Binoche) a un regard qui accroche le vôtre, qui vous transperce jusqu’au plus profond de votre âme. Vêtue de noir, peu loquace, elle apparait comme une jeune femme mystérieuse. Et pour cause ! Elle est hantée par un traumatisme familial… Toujours est-il qu’elle est fascinante tant sa beauté androgyne rayonne d’un ensorcelant éclat ténébreux. En somme, elle n’est pas hypnotique qu’aux yeux du spectateur : elle l’est aussi à ceux de Stephen Fleming (Jeremy Irons). Et ma foi, quelque part on le comprend. D’ailleurs Jeremy Irons réussit à retranscrire cette fascination hors normes, au point d’en perdre la tête. La violence des coïts trahit le feu intense de cette passion, tandis que la virée à Paris et la séquence à l’ombre d’une porte cochère illustrent parfaitement cette perte totale de raison chez le personnage masculin. Ah ces fameuses portes cochères… le fantasme bien connu d’un certain nombre de personnes… C’est un peu cliché sur les bords, mais un beau cliché qui est en fait un vœu secret que très peu de gens osent avouer... à part moi... euuuuh, bref ! Le fait est que l’addiction à laquelle succombe le politicien l’inonde dès la première apparition d’Anna : le regard dont j’ai parlé plus haut, un corps superbement mis en valeur… Autant être franc, elle est belle à regarder. La magie opère immédiatement entre les deux personnages et il n’en faut pas plus pour que le spectateur soit plongé dans le maelstrom de la passion. Alors quand en plus les bas à jarretière finement dentellisée se dévoile, et que ce corps ondulant s’offre à vous, les éventuelles dernières barrières de l’interdit volent aussitôt en éclat. Porté par une musique qui souligne la dangerosité de cette relation (notamment avec la même note qui reste en suspens), le film inspire à travers le couple Binoche-Irons autant de fascination que de malaise chez le spectateur par l’érotisme à la fois glacé et néanmoins sulfureux. Ce sont pour toutes ces raisons que "Fatale" mérite d’être découvert et redécouvert. D’autant que les personnages secondaires parviennent à tirer leur épingle du jeu comme Miranda Richardson mais il faut beaucoup patienter avant de la voir jouer avec ses tripes. "Fatale" : un film de Louis Malle à la fois fascinant et dérangeant où, à l’instar de Juliette Binoche et Jeremy Irons, le spectateur se perd corps et âme.