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“De la tendresse pour des personnages en perdition” : voici comment Wikipédia qualifie à ce jour le style de Doillon, & de quoi résumer aussi Le petit criminel, posé à mi-parcours d’une filmographie qui s’est perdue dans les sables de l’ère moderne. Qui regarde encore Doillon ?, voilà ce qu’on se demande à la vue de ses scènes datées, délicatement enracinées dans des décors rigoureusement bruts qui évitent tout contact avec la civilisation quand c’est possible – trop souvent pour que le casting ne se trouve pas, à l’inverse, déraciné.
C’est alors un naturalisme psychologique difficile à prendre en main qui émerge. Le trio formé par le flic, le voyou & sa sœur est la trinité sur laquelle il faut s’appuyer, car leur regard à chacun deviendra le nôtre, tour à tour & au fil d’alliances successives. Au cœur d’une intrigue criminelle presqu’artisanale, Doillon crée des superpersonnages en expérimentant différents liens : fraternels, compassionnels, conflictuels… C’est une gamme entière de défis pour les acteurs, pourtant elle essaye de fonctionner… sans eux ?
L’ouvrage trouve une forme de détachement qui lui permet de se passer d’un acteur de qualité en la personne de Gérald Thomassin – le petit criminel. Il est à la fois la clé de voûte de la trinité & le seul de ses membres qui n’est pas capable d’en porter les variations, si bien qu’on a l’impression qu’il a été exploité en tant que mauvais acteur pour injecter directement dans le film un personnage mauvais, sans qu’il fût besoin de le préparer. On finit par avoir l’impression que ce détachement, loin des apparences médiocres de Thomassin, investit en fait tout le film. Pour le meilleur ou pour le pire : difficile à dire, car en s’appropriant le remplacement de toute une génération d’acteurs, à la mode à l’époque, l’œuvre passe pour une tentative déplacée (& vieille école !) de la refaire à sa façon.
Très préparé ou pas du tout préparé, Le petit criminel est en tout cas conçu en trompe-l’œil : bien dialogué, mal interprété, bien imaginé mais trop brut, il se crée ses propres conventions invisibles, un peu à la Bertrand Blier, qui semblent être les seules auxquelles on a droit pour l’interpréter. Une astuce qui l’immunise contre la modernité & aurait beaucoup gagné a être dissimulée.