Comment critiquer "Les 400 coups" ? On ne peut pas, tout simplement. Cependant, je l'ai trouvé moins puissant et moins mirobolant que "Jules et Jim", du même cinéaste. "Jules et Jim" avait, pour moi, non pas une fraîcheur différente, mais sans doute un rendu plus authentique, un rendu possédant une âme plus dévastatrice. Certes, "Les 400 coups" possède un charme inhérent mais n'a pas encore la chaleur d'un Truffaut au sommet de son art (je trouve). Il s'agit ici de ma première vision de ce film. Et il m'a semblé judicieux de le comparer à "Jules et Jim", son premier chef d’œuvre à mes yeux. Il faut dire aussi que j'avais lu le bouquin de Roché avant de voir son adaptation filmique.
Pour présenter "Les 400 coups", il faut passer par la case François Truffaut, inévitablement. Pris sous l'aile d'André Bazin (critique travaillant aux Cahiers du cinéma), François écrit sa rage de vivre en de virulentes analyses de films qui transgressent le cadre du cinéma d'antan. Il participe ainsi à un cinéma plus libre, ce qui se fera ressentir dans ses tous premiers courts-métrages dont "Les mistons" (1957) avec la regrettée Bernadette Lafont. Deux ans plus tard, "Les 400 coups" sort sur les écrans et François Truffaut acquiert la reconnaissance internationale sur la Croisette (il reçoit le Prix de la mise en scène). De ce phénomène critique et public naît le mouvement dit de la "Nouvelle Vague". "Les 400 coups" est assurément le film phare de cette manifestation libertaire. La même année, un de ses scénario est adapté et propulse Godard à la gloire en 1960 : "A bout de souffle" avec l'inaltérable Belmondo, le chef d’œuvre de la Nouvelle Vague, sort sur les écrans et reçoit l'Ours d'Argent à la dixième édition de la Berlinale. Truffaut est lancé, ses succès parlent pour lui.
Mais revenons un peu sur "Les 400 coups". Je vais seulement donner dix raisons sur le pourquoi de regarder ce premier métrage de François Truffaut.
Première raison : la façon dont est traité l'histoire d'Antoine Doinel. Un coup à l'intérieur, l'autre coup à l'extérieur (dans des décors parisiens bien foutus. Merci Henri Decäe. Travailleur de l'image sur "Le silence de la mer" de Melville et "Ascenseur pour l’échafaud" de Malle notamment.). Une première dans l'Histoire du cinéma, si je ne m'abuse !
Deuxième raison : le scénario, traitant du thème du problème de l'adolescence dans le Paris des années 50. Truffaut et Moussy (retrouvant le cinéaste pour son "Tirez pas sur le pianiste") font du personnage d'Antoine Doinel non seulement la métaphore de la jeunesse mais aussi de la psychologie de l'enfance et de la complexité de la vie. Scénario tiré aussi de la vie de Truffaut faisant une part d'autobiographie.
Troisième raison : pour son interprète principal, Jean-Pierre Léaud (Antoine Doinel), magistralement extraordinaire et hallucinant dans son rôle. Il forme, avec Patrick Auffray, un duo dévastateur charmant.
Quatrième raison : le rythme. Truffaut s'empresse à multiplier les cadrages pour nous embourber dans les aventures d'Antoine. Ses plans, ses cadres, ses travellings, ses plongées... nous poussent à vadrouiller en compagnie de l'adolescent fugueur, menteur... jusqu'à la fin !, le tout dans une fraîcheur inopinée rondement menée par la musique de Jean Constantin qui n'a pas encore l'allure d'un Delerue mais qui en prend la route. Merci Jean ! Compositeur pour Piaf, Cordy.
Cinquième raison : l'amour du cinéma de Truffaut. A chaque coin de rue, on peut apercevoir des affiches de cinéma. D'autre part, on assiste aussi à un spectacle de guignols. Préfiguration du "Dernier métro" ? On assiste aussi aux infos que l'on va voir au cinéma. Mais aussi aux apparitions de Jeanne Moreau (la Dame à la voix rauque), Jean-Claude Brialy (le confident des stars) et de Jacques "Rochefort" Demy notamment.
Sixième raison : la présence du futur réalisateur populaire Philippe de Broca en tant que premier assistant-réalisateur. "Cartouche", "L'homme de Rio", "Le magnifique" (tous avec Bébel), c'est lui !!
Septième raison : le film est dédié à André Bazin. François dit de lui qu'il s'agit de son père adoptif.
Huitième raison : l'influence du cinéaste par des réalisateurs comme Jean Vigo (initiateur de la Nouvelle Vague et dont son action dans le cinéma lui vaudra la reconnaissance par l'attribution aux jeunes réalisateurs français de recevoir le Prix Jean Vigo depuis 1951) ou Ingmar Bergman (connu du grand public pour son "Septième sceau").
Neuvième raison : "Les 400 coups" fait office de premier opus dans la saga Antoine Doinel, toujours réalisée par Truffaut. Il sera suivi par "L'amour à 20 ans" (film à sketches de 1962), "Baisers volés" (1968), "Domicile conjugal" (1970) et "L'amour en fuite" (1978).
Dixième raison : Doinel est ainsi à Truffaut ce que James Bond est à Fleming. Tout le personnage de Truffaut se rassemble dans l'esprit du personnage écrit par le metteur en scène contemporain de "La nuit américaine". François suit Antoine dans toutes les étapes de sa vie. Et là, pour un commencement, je dis tout simplement : chapeau !!!
Pour terminer sur "Les 400 coups", autant de raisons pour découvrir la toute première œuvre de l'ex-critique des Cahiers du cinéma. Dans l'ordre, il s'agit donc pour moi : un, d'un classique à la française (Truffaut quoi !), deux, d'un classique (pour les investigations de son auteur sur tous les plans), trois, d'un essentiel (pour la saga Doinel à bien des égards), quatre, d'un film anthologique (comment oublier "Les 400 coups" ?), et cinq, d'un film mythique (long-métrage autobiographique teinté de nostalgie aujourd'hui).
Spectateurs, foncez tête baissée, à n'en pas douter !! Enrichissement culturel approuvé. D'où ma note : 3 étoiles sur 4.