Un critique s’étant fait remarqué par sa virulence envers les grands noms du cinéma français de l’époque (Claude Autant-Lara et la "Qualité française" notamment) qui réalise son premier film devait s’attendre à un retour de bâton. Ce ne fut pas le cas de François Truffaut dont le premier film est immédiatement reconnu comme une réussite (Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 1959, un an après y avoir été interdit d’accès en tant que critique). Ainsi, dans la foulée du Coup du berger de Jacques Rivette et du Beau Serge de Claude Chabrol, Les Quatre cents coups fait partie des œuvres qui lancèrent la Nouvelle Vague. Comme les films de ce mouvement assez hétéroclite (Truffaut est loin de pousser les recherches formelles d’un Jean-Luc Godard par exemple), le film est marqué par un petit budget (on peut parfois se rendre compte de la postsynchronisation dans certaines séquences comme celles où Antoine sort au cinéma avec ses parents), les apparitions de membres plus ou moins associé à cette génération (Jeanne Moreau, Jean-Claude Brialy, Philippe de Broca, Jacques Demy, Charles Bitsch, Jean Douchet, Jacques Doniol-Valcroze ou François Truffaut lui-même font des apparitions tandis qu’on peut entendre les voix de Jean-Luc Godard et de Jean-Paul Belmondo) et par un aspect personnel très poussé.
Ainsi, même si le cinéaste s’en est parfois défendu (expliquant que le personnage d’Antoine Doinel possédait beaucoup d’éléments provenant de son interprète, Jean-Pierre Léaud), Les Quatre cents coups possède de nombreux éléments autobiographiques. Par exemple, Antoine Doinel découvre être un enfant naturel à l’âge d’une dizaine d’années comme Truffaut. Tout comme le cinéaste, le jeune personnage est d’origine modeste (il dort dans le couloir, n’ayant pas de chambre, comme son créateur), flirte avec la délinquance
et se retrouve dans un Centre d’observation de mineurs délinquants
. De même, Antoine se réfugie dans la littérature et le cinéma pour oublier ses difficultés affectives
(notamment ses relations très difficiles avec ses parents et surtout une mère présenté dès sa première apparition comme étant agressive, peu donneuse d’affection, qui préfère envoyer son fils en colonie de vacances plutôt que de s’occuper de lui et qui plus est trompe son mari, ce qui amène des disputes avec ce dernier, d’abord présenté comme étant affectueux envers Antoine mais qui finira tout de même par le rejeter suite à ses nombreuses bêtises)
, ce qui permet au réalisateur d’accumuler discrètement les références
(l’idolâtrie pour Honoré de Balzac, le vol d'une photo du film Monika d’Ingmar Bergman, le tag sur un mur marquant Giraudoux, le camarade de classe d’Antoine s’appelant Chabrol…)
. L’importance que Truffaut accorde à la langue française est d’ailleurs soulignée dans la séquence où la mère d’Antoine en fait l’apologie.
Cet aspect autobiographique permet à cet ancien enfant à problèmes de présenter un portrait réaliste d’un âge qu’on ne qualifiait pas encore régulièrement d’adolescence en s’éloignant de la vision angélique qui y était rattaché pour aboutir à une description complexe (la musique légère et sensible de Jean Constantin contraste avec des attitudes plus torturées et rebelles du personnage)
pour aboutir à un célèbre plan final où le regard plein de détresse et de manque d’amour d’Antoine fait face à un public pouvant s’inquiéter sur son devenir (il sera toutefois rassurer sur ce point dans les films suivants mettant à nouveau en scène le personnage)
.
Ainsi, dès son premier long-métrage, François Truffaut signe un film fort qui marquera profondément le reste de sa carrière (le personnage d’Antoine Doinel sera à nouveau le héros d’un moyen-métrage et de trois autres longs-métrages), qui influencera fortement de nombreuses œuvres du cinéma mondial (dès l’année suivante, on peut constater des mouvements de personnage dans Le Testament d’Orphée de Jean Cocteau qui reprennent ceux d’Antoine dans l’attraction foraine et des réalisateurs aussi prestigieux qu’Akira Kurosawa, Luis Buñuel, Satyajit Ray, le suscité Jean Cocteau, Carl Theodor Dreyer, Richard Lester ou Norman Jewison le cite parmi leurs films préférés) et qui, de plus, remporta un beau succès public (aux alentours de 4 millions d’entrées). Un grand réalisateur est né !