La Pretty Woman, c'est Julia Roberts, méconnaissable ; elle est prostituée et assume son rôle jusqu'au bout de ses ongles manucurés maison. Elle est le point d'orgue et la première note de la symphonie amoureuse se jouant dans le film, alors je le dis simplement avant de l'oublier : elle joue bien. Le scénario va s'excuser de transformer sa vie trop violemment en précisant d'emblée que c'est Hollywood ; tous les rêves sont permis. C'est la griffe d'un Hollywood qui s'assume, et cela va bien au-delà de cette ligne intelligente. Quand un grand patron (Richard Gere) – qu'on découvrira attachant – se perd dans Los Angeles avec sa voiture de luxe, il demande à un modeste habitant la direction de Beverly Hills qui lui répond qu'il y est, que c'est la maison de Sylvester Stallone. Il n'y avait pas meilleur moyen de rappeller les immenses contrastes de la Cité des Anges, au cas où Roberts n'y suffise pas, ce qui rend en plus le film très humble.
Le scénario va évoluer avec beaucoup plus de lisseur dans le mouvement que la façon dont Richard Gere conduisait sa caisse de luxe, ne s'empêtrant que dans sa maladresse à tout vouloir rendre lisible ; l'histoire qui se tisse entre les deux protagonistes est entâchée par la carrière de l'homme, qu'on veut garder claire, mais qui est rendue difficile à comprendre par les efforts que le spectateur doit déjà déployer à appréhender les tenants et aboutissants de leur relation. Elle monte en puissance sans qu'on s'en rende compte, et jusqu'à faire « plop » ; tout s'arrange (relativement), l'histoire devient presque jubilatoire, la chanson-phare de Ray Orbison arrive et le rapport à l'argent change.
Oui, parce que Pretty Woman est avant tout un film d'argent. D'abord moteur de la relation, il va peu à peu perdre de son lustre alors qu'on entre dans le quotidien du personnage de Richard Gere. Pourtant il garde sa vraie valeur, car il ne se corrompt pas ; on saisit ce que signifient trois mille dollars pour une jeune prostituée, mais on ne perd pas pour autant pied lorsqu'on parle des montants faramineux que représente le monde de la spéculation. Ce film relativise la valeur des choses avec talent, et si je dis qu'il ne se corrompt pas, c'est qu'il n'est pas instrumentalisé dans l'intrigue pour signifier quelque chose « de plus », et surtout pas sentimentalement ; on ne le refuse pas dans le besoin, même si on a connu la futilité du luxe. Une évidence ? Pas pour Hollywood. L'argent va simplement se faire le témoin de la transformation de Julia Roberts, qui semblait déjà avoir changé de manière si brusque en tombant la perruque. Bon, d'accord, ces transformations restent trop fortes.
Plaisir innocent du romantique naïf, et plaisir confiant du sceptique, Pretty Woman tire son succès de ce qu'il est un drame financier qui ne fait pas de l'argent un personnage, et une romance quasiment feelgood qui, sans se cacher de ses projets, s'en excuse avec logique et sans tomber dans les travers des superproductions qu'il ne peut pas éviter ; après tout, la voiture de luxe conduite par Richard Gere appartenait au producteur du film... Hypocrite, je crois que le film ne pouvait pas ne pas l'être. Du rêve en celluloïd, comme je vois quelqu'un le dire quelque part, je crois que le film ne pouvait pas ne pas en être. Mais il ne se cache pas non plus d'être naïf et désespérément romantique ; contrairement à ce que prétendent la plupart des détracteurs du film, je ne trouve pas que Pretty Woman soit un ramassis de clichés ; je pense qu'il fabrique les siens et y arrive très bien.
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